Introduction - page 3

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Le défi de faire carrière

En ce qui a trait à la chansonnette populaire, celle-ci a connu bon nombre de vedettes. La plus notoire de la première génération est sans doute Gisèle McKenzie (LaFlèche) qui aurait fait ses débuts sur la scène dès ses vingt mois, en 1929, dans Popaul et Virginie du Cercle Molière39. Nommons aussi son frère Georges LaFlèche, et les chanteuses Marie Ménard et Lucille (Savoie) Starr.

Jaques LaFlèche, frère de Gisèle et de Georges, fait actuellement carrière à Montréal suivant en cela les traces d'Yvette Guilbert [sic], la nôtre, née Cormier, cousine de Jaques, Georges et Gisèle, nièce d'Armand (notre collaborateur, leur oncle) et petite-cousine du Père Caron. Quant à faire, «mettons-y l'paquet», de dire nos cousins de l'Est, et identifions Jaques, Georges et Gisèle comme étant les enfants de Mme Georges McKenzie-LaFlèche, la responsable des chœurs de l'Arlésienne, en 1928. Son époux, le médecin LaFlèche, fut président du Cercle Molière de 1938 à 194340. Ouf! Quelle famille!

Pour en revenir aux chanteurs populaires, passons à l'époque actuelle. Qui ne connaît le duo Gerry (Gérald Paquin) et Ziz (Guérard alias Gérard Jean), qui furent les premiers Manitobains de la jeune génération à percer outre-frontières. En effet, en 1973, Gerry remportait le 1er prix au Festival de Granby (Québec) en interprétant une chanson de son partenaire. Suzanne Jeanson, après avoir figuré avec Gérald Paquin dans Suzanne et moi, une émission hebdomadaire de la télévision de Radio-Canada à Winnipeg, tenta sa chance à Montréal. Maurice Paquin a fait le trajet contraire. Né au Manitoba (il est le cousin de Gerry, le neveu comme lui de Georges), Maurice est revenu du Québec se faire connaître dans l'Ouest. Plusieurs autres jeunes talents font des débuts prometteurs : Mona Gauthier, Pat Joyal, Nicole Brémault, Marie Patenaude, Mark Kolt, Gilberte Bohémier, etc. Après avoir été encouragés par le public manitobain, certains ont remporté les honneurs du Festival de Granby, s'attirant ainsi l'attention du public québécois.

Également rattachés au Manitoba français sont les compositeurs-interprètes Wilbert Chancy et Daniel (Gérald) Lavoie. Chancy a élu domicile à Saint-Boniface après s'être fait connaître en son pays d'origine, la Haïti, puis à Paris, Genève et Montréal41. Lavoie est né au Manitoba; après y avoir fait ses études, il s'est installé au Québec où nos compatriotes, dit-on, l'on adopté sans conditions. Sa percée en France est des plus encourageantes.

D'après cette liste de noms et d'événements, il est évident que l'activité musicale et dramatique au Manitoba français fut intense et continue de l'être.

Les Franco-Manitobains ont toujours été particulièrement doués en ce sens. Nous n'avons pas de données sociologiques pour en tirer une conclusion. Certes–comme le mentionnait Marius Benoist en parlant de l'importance de l'orgue à la Rivière-Rouge–avant l'avènement du gramophone, de la radio, du cinéma et de la télévision–«tout un chacun» devait assurer ses propres divertissements. Qu'il y ait eu des gens de talent, nul n'en doute, mais admettons que le besoin était primordial.

De nos jours, les pièces de théâtre, les spectacles, les tournées de chant se multiplient. Par contre, la réalité veut que le fait français soit beaucoup moins près de sa source d'origine. Sans avoir fait une étude approfondie de cette anomalie, nous pouvons penser que l'activité créatrice résulte peut-être davantage du besoin que ressentent eux-mêmes les créateurs que de l'appui d'un vaste public.

Ensuite, nous pouvons demander : «Oui, mais, le Manitoba français a-t-il produit de véritables vedettes, des gens de carrière qui ont réussi à s'imposer, non seulement chez eux, mais également au-delà de leurs frontières?»

Dans le domaine du théâtre, il semble que parmi les Anciens, disons ceux d'avant 1967, personne n'ait fait du théâtre son principal ou unique métier. Plusieurs comédiens et metteurs en scène du Cercle Molière ont mérité des prix et des distinctions du Canada et de la France. De même, plusieurs ont fait des stages d'étude à l'étranger. Mentionnons Gabrielle Roy, Léo Rémillard et Robert Trudel à Paris; René Dussault à l'Université Cornell; Nadine (Gertrude) Kelly, Jacques Senez et Henri Bergeron à l'école des beaux-arts de Banff, en Alberta42.

Cependant, il aura fallu attendre jusqu’aux années 1960, et encore, avant qu'un Roland Mahé soit rémunéré. Il en parle d'ailleurs dans son texte. Si plusieurs des jeunes se retrouvent, comme leurs aînés, à l'emploi des postes de radio et de télévision, quelques-uns ont commencé à se faire connaître en dehors des cadres stricts du Cercle Molière. Claude Dorge, par exemple, s'est produit au Manitoba Theatre Centre de Winnipeg, au Théâtre du P'tit Bonheur de Toronto et au Centre national des arts d'Ottawa dans une pièce qui fut par la suite envoyée en tournée. En plus, deux pièces de sa création, OK d'abord (1978) et Nico et Niski et la raquette volante (1979), ont parcouru le Canada.


Du côté de la musique, il semble qu'un plus grand nombre se soit fait applaudir par un auditoire étranger. Mentionnons les membres francophones de l'orchestre symphonique de Winnipeg, ainsi que Thérèse Deniset et Georges Paquin qui ont fait carrière en France et en Angleterre, Sylvia Saurette, en Allemagne et en Europe, et Gisèle McKenzie, qui fut une «star» du Show Biz américain. Parmi les jeunes chanteurs, il y a le cas, sur la scène populaire, de Daniel Lavoie. Après le Québec, c'est la France qui l'accueille.

Mais, quelle autre différence pouvons-nous relever entre les anciens et les jeunes? D'abord, un plus grand intérêt porté aux véritables créations. Au théâtre, on se penche beaucoup plus fréquemment sur des textes d'auteurs locaux. Jadis, par exemple, les Pères du Collège ont présenté des pièces et saynètes qu'ils avaient écrites pour des occasions particulières. Signalons : Le Départ en exil d’Albert Bernier, le 20 mars 1899; En pleine paroisse manitobaine, présentée le 20 mars 1905; L'Année aloysienne de Léon Pouliot, le 22 novembre 1926; Un drôle de saint de Georges-Henri d'Auteuil, le 12 mars 1941, et Une sérieuse de pêche d'Alexandre Dugré, le 23 février 194543.

Quant au Cercle Molière, il attendit 33 ans (1958) avant d'oser faire le grand pas, en présentant Brelan d'As, une comédie en un acte de Jacques Ouvrard; et la même année, Maquis, une pièce en un acte de Robert Séguier. Quatre ans plus tard, Confucius, une comédie en trois actes de Jacques Ouvrard et, en 1965, Les Projecteurs, pièce en un acte de Guy Gauthier. Après un long silence de sept ans, le Cercle joua en 1972 Les Eléphants de tante Louise, une pièce pour enfants de Roger Auger44. Depuis 1975 toutefois, où l'on joua Je m'en vais à Regina (publiée chez Leméac en 1976) du même Auger, et qui devait être la première pièce d'une trilogie ayant comme sujet la petite bourgeoisie de Saint-Boniface, les pièces d'auteurs franco-manitobains, traitant de sujets manitobains, se succèdent d'année en année. Parmi celles-ci, soulignons Le Roitelet de Claude Dorge, pièce créée en 1976 et publiée en 1980.

En musique dite «sérieuse», on semble s'être aventuré plus tôt qu'au théâtre. Depuis Lachrymae de Roméo Poisson (1881), nous sautons aux nombreuses compositions de Paul Salé publiées entre 1896 et 1920. Vinrent ensuite celles de Marius Benoist : entre autres, les suites pour flûtes et cordes et, surtout, ses opéras. Puis, plus récemment, en 1977, la cantate La Basilique de Saint-Boniface de Marcien Ferland, créée à la basilique même.

Alors que les chanteurs populaires de l'époque de Gisèle McKenzie interprétèrent des chansons composées par d'autres, rappelons que, lors des fêtes familiales et paroissiales, les anciens se plaisaient à donner, aux mélodies connues, des paroles nouvelles exprimant leurs préoccupations quotidiennes. Redécouvrant en quelque sorte cette tradition, les jeunes chanteurs actuels vont jusqu’à composer eux-mêmes la musique de leurs chansons. Et quand ils se font uniquement interprètes, ils choisissent de chanter des œuvres créées par d'autres Franco-Manitobains.

Enfin, que penser de l'avenir de tous ces jeunes créateurs au Manitoba français? Nous avons souligné l'anomalie entre la diminution, d'une part, d'un public franco-manitobain et la profusion, d'autre part, des jeunes créateurs. Sans doute ces derniers ont-ils plus d'argent et de moyens que les générations passées n’en avaient pour réaliser leurs projets, mais ils font face à un problème que n'avaient pas leurs prédécesseurs : celui de leur identité à une collectivité culturelle.

Les chanteurs et musiciens qui interprètent le répertoire classique ou international peuvent s'adresser à un vaste public sans se soucier des barrières linguistiques. Pour leur part, les chanteurs du peuple, c'est-à-dire, ceux qui anciennement voulaient bien agrémenter les rassemblements d'amis et de connaissances, n'avaient pas non plus à songer à leur identité culturelle. Ils en étaient assurés par l'étroitesse même de leur univers.

Le chansonnier franco-manitobain d'aujourd'hui affronte une tout autre situation. Peut-il se satisfaire d'un public francophone qui ne représente plus que le dixième de la population totale du Manitoba? S'il s'adresse à l'ensemble des Manitobains, pourra-t-il s'épanouir dans sa langue d'origine alors que s'imposeront les traductions et les spectacles bilingues? Ou, encore, essayera-t-il de s'adresser aux Québécois, en français? C'est le grand dilemme, car ne s'attire pas qui veut l'intérêt des Québécois. Bien que notre folklore et notre langue soient les mêmes, tout un monde nous sépare.

L'exception est le chanteur Daniel Lavoie. Le critique musical de la revue québécoise L'actualité comparait cet ancien élève du Collège de Saint-Boniface à la chanteuse Diane Tell :

«Diane Tell trouve son équivalent masculin chez Daniel Lavoie. Lui aussi est sorti de nulle part [sic], lui aussi s'impose d'emblée comme l'un de nos meilleurs chanteurs, et lui aussi enfin propose une chanson résolument américaine, par la respiration, les climats, la palette orchestrale, l'utilisation de la voix, l'équilibre des volumes, les rythmes et la place immense faite à l'évocation45

Se peut-il que l'on commence, au Québec, à percevoir l'ambiguïté culturelle des Franco-Manitobains comme un vent nouveau? Après la Louisiane, le Manitoba?

L’avenir

Reconnaissance ou contagion, effervescence ou chant du cygne, qui saurait le dire? Loin de nous cependant de vouloir décourager nos admirateurs. Notre but fut tout autre. En brossant cette vue d'ensemble, nous avons voulu attirer l'attention des historiens, d'ici et d'ailleurs, sur les nombreux domaines de recherche que représentent l'activité musicale et théâtrale du Manitoba français. Espérons que Chapeau bas jettera suffisamment de lumière sur les personnalités franco-manitobaines pour qu'elles trouvent leur place dans des contextes aussi vastes que possible. Qu'elles figurent selon leurs réalisations et l'originalité de leurs créations dans les études et les historiques qui leur conviennent (et qu'elles méritent) soit au niveau local (le Manitoba français), provincial (le Manitoba) ou national (le Canada). Avant que nous ne disparaissions, ou ne renaissions (selon l'optimisme qu'on entretient), puissent nos réussites passées et présentes être dûment reconnues.

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© Les Éditions du Blé, 1980.

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