Andrée Pagé, sculpteure : la poésie des formes

image description imprimer

Les lecteurs du Bulletin de la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal auront croisé le nom de la sculpteure Andrée Pagé dans le numéro consacré au Carré Saint-Louis (printemps-été 2020). Je mentionnais cette artiste parmi les créateurs qui ont donné toute sa vitalité au Carré, mais que les médias, avides de vedettes, passent sous silence. Or, Andrée Pagé habite l’avenue Laval depuis des années, tandis que bien des vedettes ont quitté le Carré depuis longtemps.

Détentrice d’une maîtrise en sculpture et architecture du paysage de l’UQÀM et de l’Université de Montréal, la sculpteure a mené une carrière de premier plan, exposant avec des artistes de la trempe de Charles Daudelin et de Bill Vazan.

Elle obtint plusieurs bourses majeures du Conseil des arts du Canada et du Ministère de la Culture du Québec qui, de plus, lui commanda, après concours dans le cadre du programme dit « Un Pour-Cent », neuf oeuvres destinées à des édifices publics.

Le Conseil des Arts et des Lettres du Québec lui octroya une résidence d’artiste au Studio du Québec à New York. Pour sa part, la Délégation générale du Québec à Paris lui accorda une exposition en solo, tout comme le Centre culturel canadien à Rome.

Andrée Pagé effectua de nombreux séjours en Italie, notamment à Pietrasanta pour le marbre et à Vérone pour sa fonderie et ses imprimeries d’art. C’est justement à l’atelier Grafiche Aurora de Verone qu’elle publia le livre d’artiste Le laboratoire de Blanche Célanuy. Le titre évoque Rrose Sélavy, le double féminin de l’artiste français Marcel Duchamp. Bibliothèque et Archives nationales du Québec et le centre de documentation Artexte de Montréal en conservent des exemplaires.

La sculpteure s’inspire du silence des lieux sacrés, de même que de la pensée orientale et de la musique classique. De ses propres mots : « J’adore Bach, Schubert et Mahler. Messian. À Montréal le Nouvel Ensemble Moderne avec Lorraine Vaillancourt, le choeur de Saint John [the Evangelist, soit la petite église au toit rouge de Montréal] sous la direction de Federico Andreoni et tout ce qui me fait vibrer de l’intérieur. Mon atelier [dans la vallée du Richelieu] est tout en bois massif, imaginez l’acoustique... »

André Pagé, Un théâtre dans ma guitare, un monument à Félix Leclerc, École Félix-Leclerc, Saint-Constant.

Fidèle à ses racines, Andrée Pagé voue une grande admiration pour les créateurs québécois. Notons, par exemple, ses monuments à la mémoire de Félix Leclerc et de Gilles Vigneault. Celui consacré au poète de l’Ȋle d’Orléans, intitulé Un théâtre dans ma guitare, et érigé à Saint-Constant, tire son titre d’un texte de Leclerc. Pour le chantre national, la sculpteure a imaginé pour le Centre de l’éducation aux adultes de Cowansville, une élégante plume d’oiseau (L’Oiseau ivre) qui vibre, fébrile, à l’air ambiant. Cela est sans mentionner ses œuvres réalisées en l’honneur des Ulysse Comtois, André Gagnon et Jean-Claude Labrecque.

Andrée Pagé, L’Oiseau ivre, un monument à Gilles Vigneault, Centre de l’éducation aux adultes, Cowansville.

D’autres créateurs ont attiré son admiration, comme en témoignent ses monuments au sculpteur Isamu Noguchi, au poète Ubaldo Orlandi, au danseur Kasuo Ohno, de même que le chagrin que lui causa la mort du peintre Cy Twombly et sa fidélité au sculpteur Kan Yasuda.

Originaire de la Basse-Côte-Nord, Andrée Pagé a conservé et cultive une sensibilité aux forces de la nature, dont elle a transposé la vitalité et la fluidité des formes dans ses œuvres. Voir, entre autres, la majestueuse Esprit de Vie mon Amour / La plus Grande Samare à Sucre au Monde / imaginez l’Arbre, réalisée pour l’hôpital de LaSalle à Montréal, et le non moins gracile Jussi honorant le ténor Jussi Bjorling. Cette œuvre lui fut commandée pour l’école Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, boulevard Pie IX à Montréal.

André Pagé posant devant son oeuvre Esprit de Vie mon Amour / La plus Grande Samare à Sucre au Monde / imaginez l’Arbre, Hôpital de LaSalle, Montréal.

Enfin, signalons ses Cornues Sacrées de Saint-John, sortes de récipients utilisés dans les laboratoires de chimie – ou d’alchimie? –, tout en rondeur et sensualité, ici photographiés dans l’église Saint John the Evangelist de Montréal.

André Pagé, Les Cornues Sacrées de Saint John, collection privée. Photo : Andrée Pagé.

La matière prime pour la sculpteure qui a travaillé la porcelaine, le marbre, le laiton, l’acier inoxydable chirurgical et le bronze. Dernièrement, elle préparait des modèles pour son fondeur dont elle vante la maîtrise technique.

La sculpteure regrette amèrement le sort que certaines de ses œuvres ont subi aux mains d’institutions commanditaires peu soucieuses du respect dû aux artistes et à leurs œuvres. Combien de sculpteurs québécois dénoncent cette inculture? Rappelons l’offense faite à Charles Daudelin, Yves Trudeau et Pierre Granche dont certaines oeuvres ont été saccagées ou sont disparues lors d’un déplacement.

Andrée Pagé mérite mieux que ça. À quand d’ailleurs une de ses œuvres au Carré Saint-Louis? Une « Grande Samare », par exemple, ou un « Jussi » mariant ses courbes et son élan à la poésie des arbres tout autour?

André Pagé, Jussi, honorant le ténor Jussi Bjorling, école Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, Montréal.
André Pagé, Jussi, honorant le ténor Jussi Bjorling, école Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, Montréal.

Remerciements

  • L’auteur remercie Andrée Pagé pour sa collaboration.

© SHP et Bernard Mulaire, 2020.

Toute reproduction ou adaptation est interdite sans l'autorisation de l'éditeur. Les citations doivent indiquer la source.

< retour