Céline Boucher et l’École des beaux-arts de Montréal

image description imprimer
Céline Boucher à l'ÉBAM, 1968.
Céline Boucher, 1972.

Céline Boucher figure parmi les artistes qui ont donné au Plateau Mont-Royal toute sa vitalité. Peintre, elle a tenu atelier pendant longtemps dans son appartement de la rue de Bordeaux au sud de l’avenue Mont-Royal. Ancienne de l’École des beaux-arts de Montréal (EBAM), elle est diplômée en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal et de l’université Concordia.

L’artiste a présenté plusieurs « solo » et participé à des expositions de groupe notamment dans les maisons de la culture et à la galerie d’art du cégep du Vieux-Montréal. Elle a aussi exposé ailleurs au Québec, en Ontario, à Paris et à Bruxelles. La Banque des œuvres d’art du Canada et la collection Prêt d’œuvres du Musée national des beaux-arts du Québec conservent de ses œuvres.

Boucher est membre du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec et elle a publié dans la revue ESSE arts + opinions. En 1996, elle était répertoriée par le Allgemeines Künstlerlexikon, un dictionnaire d’artistes mondial publié à Leipzig en Allemagne.

De 1991 à 2010, l’artiste a enseigné les pratiques bidimensionnelles au Cégep du Vieux-Montréal. C’est à ce moment que l’importance de l’enseignement dont elle avait bénéficié à l’EBAM lui fut confirmée.

Inaugurée en 1923, dans un édifice rue Saint-Urbain angle Sherbrooke, l’EBAM a marqué de façon indélébile l’histoire de l’art québécois. Son deuxième directeur, le Français Charles Maillard, un traditionnaliste, y défendit les méthodes des écoles d’art européennes. Les premiers soubresauts que l’EBAM connut survinrent au cours des années 1940 quand le peintre Alfred Pellan, revenu de Paris où il avait fréquenté les milieux modernistes, se confronta à Maillard. Les deux pouvaient se lancer des objets.

Maillard ayant démissionné – et les manifestes Prisme d’yeux et Refus Global 1 ayant fait leur chemin, la voie était donnée à des courants esthétiques plus aventureux. Quand Boucher s’inscrivit en tant qu’élève en 1967, l’école occupait un édifice voisin rue Sherbrooke. L’institution restait fidèle à l’enseignement rigoureux des techniques prôné par Maillard tout en assumant les positions esthétiques libératrices défendues par Pellan.

Boucher se souvient de la luminosité des lieux et de la collégialité qui régnait alors à l’EBAM, surtout du respect que les professeurs manifestaient envers les élèves. Cela se répercutait dans les rapports que les élèves filles et garçons entretenaient entre eux.

L’artiste rappelle l’étendue des cursus allant de notions sur la couleur (prof Claude Courchesne) en passant par la peinture (prof Jacques de Tonnancour qui leur parlait de philosophie), et la sculpture (prof Ulysse Comtois) jusqu’à la photographie (prof Jean-Pierre Beaudin). Des femmes, Boucher conserve le souvenir de personnes de fort caractère, telles Irène Senécal, professeure de pédagogie, la peintre Suzanne Duquet (que Boucher appelle Mme Duquet) et Suzanne Lemerise, historienne de l’art et pédagogue.

Il faut savoir que les élèves avaient souvent été les écorchés de leur école secondaire respective, et que beaucoup provenaient des régions. Par exemple, Boucher et Bernard Benny étaient originaires de la région de Joliette, Michèle Héon d’Amqui, Christian Kiopini de Sorel et Alain Ouellet d’Alma. Loin de leurs familles, ils trouvaient en l’EBAM un sanctuaire où ils pouvaient se consacrer à leur passion, exprimer leur sexualité et se vêtir avec la créativité que leurs maigres revenus leur permettaient. De plus, la cafétéria où la plupart prenaient leurs repas (c’était bon et pas cher) leur donnait la chance de côtoyer les élèves de tous les niveaux, Bref, ils en étaient indélogeables.

La première secousse que Boucher connut à l’EBAM advint lors de la grève des élèves en 1968. Ils avaient souhaité participer à une cogestion de l’école. Au début, ils se réjouissaient de prendre deux semaines de vacances, mais c’était avant que les marxistes-léninistes et Jesus freaks ne s’emparent du mouvement et déclenchent ce que l’on a appelé l’Occupation. L’EBAM se vit transformée en commune où certains déambulaient nus. Sous l’effet du LSD, un élève massacra la momie égyptienne qui gardait l’entrée.

Après plus d’un mois, la plupart des élèves se rendirent compte que l’Occupation mettait leur session en danger. Professeurs et élèves mirent fin aux revendications. En même temps, une transformation décisive prenait forme, soit le transfert de l’EBAM à la nouvelle Université du Québec à Montréal.

Selon Boucher, le transfert réalisé en 1969 se fit sans trop de difficulté. Vrai, les élèves perdaient la gratuité des matériaux utilisés, mais c’était en échange de prêts et bourses. Quant aux professeurs, ils durent consacrer dorénavant une partie de leur temps aux tâches administratives, mais pour les uns comme pour les autres le diplôme universitaire et la sécurité financière contribuèrent à les convaincre. Soulignons qu’il n’avait jamais été bien vu au Québec -- à peine sorti de son cadre campagnard et ouvrier -- de fréquenter l’EBAM ou d’y enseigner. L’aura d’un poste universitaire et l’obtention d’un diplôme reconnu rassuraient.

Aujourd’hui encore, Céline Boucher poursuit ses recherches picturales et son regard s’anime quand elle parle de l’EBAM.

Notes

  1. Prisme d’yeux rédigé par de Tonnancour, publié par Pellan; Refus global rédigé par Borduas et disciples.

© SHP et Bernard Mulaire, 2019.

Toute reproduction ou adaptation est interdite sans l'autorisation de l'éditeur. Les citations doivent indiquer la source.

< retour