Édouard Préfontaine (1900-1993) : un ancien du Collège de Saint-Boniface, médecin en Caroline du Nord

image description imprimer

À Madame Frances Wood Rose qui a longtemps travaillé pour le docteur Préfontaine à titre d’infirmière

Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine, diplômé. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Le Collège de Saint-Boniface, prédécesseur de l’Université de Saint-Boniface, a contribué à la formation d’innombrables professionnels qui ont fait leur marque non seulement au Manitoba, mais ailleurs au Canada et à l’étranger.

Édouard Préfontaine figure parmi ces anciens du Collège qui se sont ainsi distingués. Né à Saint-Pierre-Jolys le 14 décembre 1900, fils d’Adélinde Gratton et d’Ovide Préfontaine, Édouard était le cadet d’une fratrie de douze enfants dont quatre moururent en bas âge.

Ovide Préfontaine, né à Saint-Ephrem-d’Upton non loin de Montréal, était arrivé au Manitoba adolescent via la Nouvelle-Angleterre avec ses parents et fratrie au début ou au cours des années 1880. Le 7 juin 1888, il avait épousé Adélinde Gratton à Sainte-Agathe au Manitoba. Cette dernière était originaire de Sainte-Thérèse-de-Blainville au nord de Montréal. Vu les liens familiaux, Montréal et ses environs resteront des points d’ancrage pour eux.

Les Préfontaine (et les Fournier)

Ovide était un descendant à la septième génération d’Antoine Fournier dit Préfontaine. Originaire de la Picardie en France, Antoine était arrivé en Nouvelle-France en 1687. C’est à Boucherville qu’il épousa Marie Roncelay (Ronceray) en 1688 et c’est par la descendance de leur fils Adrien, né en 1715, qu’ils sont reconnus aujourd’hui comme les ancêtres de tous les Préfontaine (et [de nombreux] Fournier) d’Amérique du Nord 1.

La fin du XIXe siècle et le début XXe ont vu la campagne manitobaine se développer à mesure qu’arrivèrent des colons francophones du Québec, de la Nouvelle-Angleterre et d’Europe. Comme les terres étaient souvent marécageuses, Ovide, cultivateur et agent de vente pour machinerie agricole, flaira la bonne affaire et devint entrepreneur en travaux publics, obtenant des contrats de drainage – fort probablement par l’entremise de son frère aîné Albert, député à la législature du Manitoba puis ministre sur le plan fédéral.

Avec Ephrem, un autre de ses frères, celui-là cultivateur à Morris au Manitoba, et sous la bannière Préfontaine Bros, Ovide aurait assemblé au début des années 1900 la première drague ambulante (walking dredge) connue au Manitoba. On croit qu’il avait acheté les composantes au Wisconsin. Cette drague servit à l’irrigation des terres du côté est de la rivière Rouge, dans la région de Morris entre Sainte-Elisabeth et La Rochelle 2.

Vers 1919-1920, Ovide fit un voyage en Europe, apparemment en Belgique, avec son frère Albert et leurs amis de Saint-Pierre-Jolys, les frères Adhémar et Achille Renuart, eux-mêmes d’origine belge. Sans doute liés en affaires, le quatuor, croit-on, allait s’enquérir en matière de dragues dont les Belges faisaient bon emploi pour récupérer des terres à la mer. Une photo montre les quatre frères à leur départ ou durant leur séjour en Europe. Une autre photo montre un garçon non-identifié posant sur une drague ambulante.

Fiston Édouard se souviendra avoir travaillé l’été, durant sa jeunesse, sur les dredges (en français dragues) de son père 3

Catherine Mulaire
Ovide et Adélinde Préfontaine posent avec leurs enfants à Saint-Pierre-Jolys vers 1902. De g. à dr., devant : Ovide tenant Eugène, Laeticia, Charlemagne, Adélinde tenant Édouard. À l’arrière : Amédée, Jean, Hercule et Joseph. Photo coll. B. Mulaire.
Catherine Mulaire
Le dr Édouard Préfontaine capté devant la maison de ses parents Ovide et Adélinde Préfontaine où il a été élevé à Saint-Pierre-Jolys. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
La drague ambulante des Prefontaine Bros. de Saint-Pierre-Jolys en opération dans la région de Morris au Manitoba. Voir Eides, 1980, p. 31.
Catherine Mulaire
Garçon non identifié – un fils d’Ephrem Préfontaine ou un des fils des frères Renuart? -- posant sur une drague ambulante (walking dredge) en 1919. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Les frères Adhémar et Achille Renuart et Albert et Ovide Préfontaine, vers 1920. Photo Provincial Archives of Manitoba.

Édouard au Collège de Saint-Boniface, 1915-1922

En 1915, Édouard, encore âgé de 14 ans, fut inscrit au Collège de Saint-Boniface afin d’y faire le cours classique, comme son frère Jean l’avait fait quelques années avant lui (Jean deviendra pharmacien à Saint-Boniface).

Le cursus devait mener à l’obtention du baccalauréat ès arts. Il débutait, au niveau secondaire, par les Éléments latins suivis de la Méthode et de la Versification, puis, au niveau collégial, par les Belles-Lettres, la Rhétorique et deux années de philosophie, Philosophie I et Philosophie II. À cette époque, le Collège de Saint-Boniface n’offrait pas la Syntaxe qu’on ne glissa entre les Éléments latins et la Méthode qu’en 1926. Carole Pelchat, l’archiviste de l’Université de Saint-Boniface explique (le 10 août 2023) : « Il fallait une année de plus pour fortifier l’enseignement du français, trop souvent défectueux dans les écoles à base anglaise de la province. »

Une première étape était marquée à la fin de la Rhétorique. Cela donnait lieu à une soirée des finissants animée par des discours et des scénettes théâtrales. Un programme souvenir était imprimé, et une grande image était produite contenant les photographies des élèves et de leurs professeurs. Cette image ou « cadre » ornerait par la suite les murs des couloirs du Collège. De plus, les rhétoriciens s’engageaient à se revoir dans dix ans, ce qui constituait leur Conventum. À la fin de la seconde année de philosophie, les élèves qui avaient persévéré obtenaient le diplôme final.

Dans le cas d’Édouard, son groupe qui s’élevait à 14 élèves à l’étape de la Rhétorique n’en comptait plus que sept en « Philo » II. Une constante : Édouard présidait sa classe. Et parmi les professeurs en « Rhéto » figurait Gaston Hacault, s.j. qui allait encore enseigner au Collège dans les années 1950.

Fait important : la classe d’Édouard était la dernière à obtenir le bac avant l’incendie qui ravagea le bâtiment du Collège en novembre de 1922.

Quelques photos ont subsisté d’Édouard au Collège, dont l’une le montrant parmi les élèves qui ont joué un rôle en avril 1921 dans La Revanche de Jeanne d’Arc, un drame historique en quatre actes. Une autre photo le montre portant un costume de moine qui pourrait être celui du « moine » dans la pièce.

Catherine Mulaire
Collège de Saint-Boniface, bâtiment incendié le 25 novembre 1922. Photo SHSB.
Catherine Mulaire
Le jeune élève Édouard Préfontaine, le 21 octobre 1917. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine posant devant le bâtiment du Collège de Saint-Boniface, vers 1917-1922. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Élèves de la classe de Rhétorique 1919-1920 du Collège de Saint-Boniface. Édouard Préfontaine, président, est assis au milieu de la première rangée. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Programme souvenir du Conventum 1920-1930 des élèves de la classe de Rhétorique 1919-1920 du Collège de Saint-Boniface. Édouard Préfontaine était le président de la classe (couverture). Photos SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Programme souvenir du Conventum 1920-1930 des élèves de la classe de Rhétorique 1919-1920 du Collège de Saint-Boniface. Édouard Préfontaine était le président de la classe (intérieur). Photos SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
« Cadre » souvenir du Conventum 1920-1930 de la classe de Rhétorique 1919-1920 du Collège de Saint-Boniface. On note que le Père Gaston Hacault, s.j., était le professeur titulaire et que, parmi les 14 élèves, figurent Raymond Bernier et Aimé Décosse qui seront des figures marquantes au Manitoba. Photo coll. Archives du l’USB.
Catherine Mulaire
Programme souvenir de la soirée académique consacrée à La Revanche de Jeanne d’Arc, Collège de Saint-Boniface, le 6 avril 1921. Photo coll. Archives de l’USB.
Catherine Mulaire
La Revanche de Jeanne d’Arc, Collège de Saint-Boniface. 1921. Édouard Préfontaine dans le rôle de Lord Seymour, commandant anglais, est vu à la gauche du « moine ». Photographe G. Lorimy, Saint-Boniface, Manitoba. Photo coll. SHSB 14841.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine, costumé, vu probablement dans la salle de récréation du Collège de Saint-Boniface, vers 1921. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Les « Gradués » du Collège de Saint-Boniface, 1922; Édouard Préfontaine, président de classe. C’est le dernier groupe d’élèves à avoir obtenu son diplôme avant l’incendie qui détruisit le bâtiment le 25 novembre 1922. Parmi les sept élèves, on note aussi Raymond Bernier qui fera sa marque plus tard à Saint-Boniface. Photo coll. Archives de l’USB.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine, diplômé du Collège de Saint-Boniface, 1922. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Université Laval, Québec, 1923-1927

En 1923 Édouard entamait des études de médecine d’une durée de quatre ans à l’Université Laval de Québec.

De toute évidence, Édouard participa activement à la vie estudiantine. Reconnu habile garde droit au hockey au Collège de Saint-Boniface, il fit partie à Laval des officiers fondateurs de l’Association Sportive de l’Université en 1925, et en fut le trésorier. L’Association réunissait les élèves des facultés de médecine et de droit. Des photos d’époque montrent justement Édouard avec des camarades (son équipe de hockey?) dans un tramway de Montréal 4 et en costume de raquetteur.

Assez cocasse est une photo qui fait voir des chapeaux d’hommes empilés sur l’un des canons qui font toujours la garde sur les remparts de la ville de Québec.

Enfin, Édouard ne manqua pas de rendre visite à son oncle maternel, le sculpteur Olindo Gratton, à Sainte-Thérèse-de-Blainville au nord de Montréal. Il en rapporta une photo du sculpteur qui constitue un véritable chef d’œuvre du genre. On y voit Gratton posant avec une réplique en bois, qu’íl venait de terminer, de la Dernière Cène de Léonard de Vinci. Sa réplique était destinée au maître-autel de l’église Saint-Viateur d’Outremont (Montréal) 5. Tout y est : le sculpteur; derrière lui au mur, la reproduction chromo de l’originale, de grands croquis préparatoires sur papier, une réplique tridimensionnelle en plâtre en guise de modèle et, devant lui, l’œuvre terminée et ses gouges.

Mais la vie ne pouvait être que plaisir. Pour renflouer ses coffres, l’élève de bonne famille servit aux tables, l’été, dans un bateau-vapeur voguant sur le fleuve Saint-Laurent.

Catherine Mulaire
L’Université Laval, Québec, vers 1923-1927. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Cartes de membre d’Édouard Préfontaine au sein de l’Association des étudiants en médecine à l’Université Laval, Québec, 1923-1927. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine à la droite en costume de raquetteur, avec deux camarades non identifiés, participant probablement au Carnaval de Québec. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine figura parmi les premiers officiers de l’Association Sportive de l’Université Laval. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine, deuxième à gauche, en tramway à Montréal avec des camarades non identifiés, années 1923-1927. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Empilement de chapeaux sur un canon « protégeant » la Terrasse Dufferin à Québec, années 1923-1927. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Le sculpteur Olindo Gratton, oncle maternel d’Édouard, pose dans son atelier à Sainte-Thérèse-de-Blainville (Québec) avec la Dernière Cène, sculpture sur bois calquant la fresque de Léonard de Vinci, 1923. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard Préfontaine, à gauche, avec ses camarades (non-identifiés) employés au service de la cuisine sur un bateau-vapeur voyageant sur le fleuve Saint-Laurent, vers 1923-1927. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Grey Nuns’ Hospital à Regina et examen du Dominion, 1927-1928

Édouard obtint son diplôme de médecine au printemps de 1927 « avec distinction ». En 1927-1928, il effectua son internat au Grey Nuns’ Hospital à Regina 6. Il se retrouvait en terrain connu parce que l’hôpital, plus tard connu sous le nom de Pasqua Hospital, avait été fondé par les Sœurs Grises de Saint-Boniface.

Cette année de pratique le mena à se soumettre à l’examen du Dominion en juin 1928 à Edmonton, vraisemblablement au University Hospital de cette ville. C’est du moins ce que laisse entendre la carte postale qu’il adressa à sa mère le mardi 6 juin – son père était décédé en 1924. Édouard écrivait à sa mère qu’il était arrivé à Edmonton la veille, qu’il allait commencer l’examen le lendemain, qu’il en aurait jusque vers la fin de la semaine suivante, qu’il passerait ensuite quelques jours avec elle à Saint-Pierre-Jolys, ce vers le 20 du mois, en route pour Baltimore (Maryland). Ouf! Que d’information!

Il n’est pas clair quelles portes cet examen ouvrait, majeur vu sa durée de quasi deux semaines. Peut-on croire au besoin d’une attestation nécessaire à la poursuite de ses études ou à trouver un emploi aux États-Unis? Et pourquoi aller à Baltimore?

Catherine Mulaire
Carte postale montrant la University Hospital à Edmonton, plus tard la University of Alberta Hospital. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Verso de la même carte postale. Édouard Préfontaine l’adressa le 6 juin 1928, d’Edmonton, à sa mère Mme Ovide Préfontaine domiciliée à Saint-Pierre-Jolys. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Episcopal Eye, Ear and Throat Hospital, Washington, D.C., 1928-1931

De Baltimore, Édouard poursuivit sa route jusqu’à Washington, D.C., car il allait devenir médecin résident pendant trois ans (1928-1931) au Episcopal Eye, Ear and Throat Hospital, un institut fondé avec l’aide du diocèse anglican 7. Là il se spécialisa en otorhinolaryngologie -- à l’instar de feu son oncle Louis Aurèle Préfontaine, ORL, diplômé de l’Université de Pennsylvanie, qui avait pratiqué jusqu’à son décès en 1905 à Springfield au Massachusetts.

Les Sisters of Charity of St. Vincent de Paul, Baltimore (Maryland), et St. Leo’s Hospital à Greensboro (Caroline du Nord), 1931-1954

À Baltimore, Édouard avait pris contact avec les Sisters of Charity de Paul (aucun lien avec les Sœurs Grises – ou de la Charité -- de Saint-Boniface), lesquelles le dirigèrent vers leur « mission hospital » à Greensboro en Caroline du Nord, soit le St. Leo’s Hospital 8. Depuis sa fondation en 1906 jusqu’à sa fermeture en 1954, cette institution se targuait d’accueillir des patients de toutes origines raciales. Après avoir terminé sa résidence médicale à Washington en 1931, Édouard entra donc à St. Leo’s comme « staff doctor ».

1931, c’était la Grande Dépression, mais Greensboro, la troisième plus grande ville du comté de Guilford en Caroline du Nord, s’en tirait mieux que d’autres. Comptant une population de 53 000 personnes (comparativement à Winnipeg qui en avait 200 000), la ville bénéficiait de sa localisation centrale, carrefour de grandes routes et de chemins de fer, ainsi que de voies aériennes, qui assuraient le transport pour l’industrie du textile dans le Sud des États-Unis. N’appelait-on pas Greensboro la Gate City (comme Winnipeg était la Gateway to the West)? De plus, Greensboro jouissait d’une vie culturelle alimentée par ses universités, dont l’une réservée à la population noire, et plusieurs hôpitaux, dont l’hôpital des Sisters of Charity qui, vue l’affiliation religieuse, représentait un attrait supplémentaire pour le jeune médecin lui-même de foi catholique romaine.

Catherine Mulaire
Carte postale montrant le St. Leo’s Hospital and Nursing School à Greensboro. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Reaves Infirmary, Greensboro, 1934

Grâce à son association avec St. Leo’s, Édouard fit la connaissance des frères et médecins Wm Perry Reaves et Charles R. Reaves, spécialistes ORL, et fut l’un de deux médecins à leur emploi au sein de la Reaves Infirmary. En 1934, Édouard fit l’acquisition des bureaux du dr Charles Reaves, avec l’intention de s’établir à Greensboro de façon permanente. Dès lors le jeune médecin s’impliqua à fond dans la vie médicale et sociale de Greensboro, jusqu’à en devenir un personnage incontournable, digne d’attirer l’attention de la rubrique mondaine de la presse locale.

On vit alors Dr. J. E. (pour Joseph Édouard ou Joseph Edward) Prefontaine, ou Dr. Pre se joindre à des cercles d’hommes influents dans le milieu catholique, tels les Chevaliers de Colomb, dont il allait devenir Grand Chevalier, et assister à des retraites fermées et autres déjeuners rassemblant des professionnels de religion catholique. Il se joignit aussi au Kiwanis Club dont il fut membre actif pendant toute sa carrière.

Catherine Mulaire
News and Record, Greensboro, le 16 avril 1934. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Carte postale montrant le Jefferson Building à Greensboro où le dr Préfontaine tenait ses bureaux. Ils avaient été occupés jusqu’en 1934 par le dr Charles R. Reaves. Sur la photo, les fenêtres des bureaux sont encerclées. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Implication et Alien Certificate of Registration, 1934-

À jamais citoyen canadien, Édouard dut s’inscrire au Alien Registry de la Caroline du Nord en 1940, mais contribua tout de même à l’effort de guerre. En août 1941, il offrit gratuitement ses services au Draftee Examiner Body pour vérifier les « border-line cases » parmi les recrues atteintes de légers problèmes de vision. Il se fit aussi presque l’ambassadeur de son pays d’origine pendant les années de guerre. Ainsi aborda-t-il divers sujets liés au conflit devant les membres du Kiwanis Club. En 1939 et 1940, il discuta des relations amicales entre le Canada et les États-Unis; alors qu’en 1951, il traita plus sérieusement de l’influence américaine sur le Canada. Dans son allocution intitulée « Our Younger Brother, Canada », il affirma : « The United States has a greater influence on the people of Canada today than Britain and Canada is as free of Britain as we (aux États-Unis) are.  » Le club célébrait, ce jour-là, l’absence de défense du côté canadien de la frontière.

Au fil des ans, le dr Préfontaine fut associé à plusieurs hôpitaux de Greensboro et eut le privilège d’y pratiquer. On pense à St. Leo’s bien sûr, mais aussi au L. Richardson Memorial Hospital pour les Noirs, dès 1935, quand il fut élu responsable de la section d’otorhinolaryngologie. En 1937, il participa à la rédaction d’un rapport sur le carcinome de la glande thyroïde; en 1946, il présida le personnel médical, incitant les médecins de race blanche de la ville à y collaborer, de même qu’en réclamant des autorités civiques un appui financier vu que l’hôpital était une affaire locale.

Le Sternberger Hospital for Women and Children bénéficia pareillement de ses services dès 1937 quand il fut élu responsable de la section d’otorhinolaryngologie et, en 1945, fut même nommé à un comité étudiant la possibilité de fonder un « medical arts club »!

En 1951, le nouvel Cone Memorial Hospital, une institution privée, dont le Kiwanis avait louangé la construction à l’instar de toute la population, et qui se targuait d’être racialement « inclusive », annonça l’embauche du dr Préfontaine, chirurgien. Enfin, en 1965, le Wesley Long Hospital faisait du dr Préfontaine, âgé de 65 ans, chirurgien « subchief ». En fait, il fut principalement associé dès après au Wesley Long Hospital, y accomplissant la majeure partie de ses interventions chirurgicales. C’est sans oublier le Southern Railway pour qui il fut longtemps chirurgien ferroviaire (« railway surgeon »), seul responsable d’examiner les candidats cheminots pour toute la région en matière ORL.

Parallèlement, le dr Préfontaine s’activa dans les cercles promouvant les intérêts de la profession, devenant membre de la Guilford County Medical Society en 1934. Mais plus encore, il contribua à la North Carolina Medical Society (élu président à plusieurs reprises (1950, 1952, 1957) et de la Greensboro Academy of Medicine, organisme dont il présida le symposium du 5e anniversaire en 1951 9. Fermement engagé dans sa profession, le dr Préfontaine est mentionné de multiples fois dans l’historique de cette institution qui allait devenir le chapitre « greensbourgeois » de la Guilford County Medical Society. Les thèmes de prédilection du dr Préfontaine? Des soins médicaux abordables pour tous, la coopération de tous les membres de la profession mis au service de quiconque sans égard pour la race et les revenus, et une aversion pour la régulation gouvernementale des hôpitaux.

Parmi ses autres activités, il fut enthousiaste détenteur de billets de saison pour les parties du Greensboro Generals Hockey Team. Les joueurs, tous Canadiens, en avaient fait leur médecin de prédilection 10. De plus, il contribua fidèlement à l’œuvre des bourses du Collège de Saint-Boniface et fut toujours abonné à l’hebdomadaire La Liberté, publié au Manitoba. Enfin, il n’a jamais renié sa nationalité canadienne.

Catherine Mulaire
State of North Carolina, Alien Certificate of Registration (couverture), le 29 juin 1940. Photo coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
State of North Carolina, Alien Certificate of Registration (intérieur, page un), le 29 juin 1940. Photo coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
State of North Carolina, Alien Certificate of Registration (intérieur, pages centrales), le 29 juin 1940. Photo coll. Joe Prefontaine.

Hilda Lou Henley (1922-2010) et vie familiale, 1947-1993

Éternel célibataire, le dr Préfontaine, par ailleurs souvent vu en charmante compagnie dans les mondanités de Greensboro, succomba finalement aux fléchettes de Cupidon à l’âge de 47 ans. L’heureuse élue, Miss Hilda Lou Henley (1922-2010), en avait 25. Diplômée de l’école pour infirmières de l’hôpital St. Leo’s, Hilda avait travaillé brièvement pour lui. Sa famille, membre de la Society of Friends (Quakers), descendait des premiers colons britanniques arrivés en Caroline du Nord au XVIIe siècle 11

Les amoureux se marièrent à l’église St. Patrick’s de Washington, D.C., le 30 décembre 1947. Le choix de la paroisse leur avait été dicté par le fait qu’Édouard en était membre depuis les jours de sa résidence médicale. Trois fils naquirent de leur union, Joseph/Joe (1951-), Samuel/Sammy (1956-1980) et Charles (1959-).

S’en suivirent de nombreux voyages au Manitoba qui permirent au dr Préfontaine, accompagné de sa petite famille, de revoir sa mère, ainsi que ses frères et sœur. Toujours au programme, les habituelles rencontres des anciens de son alma mater, le Collège de Saint-Boniface.

Catherine Mulaire
Le dr Préfontaine et son épouse, Hilda Lou Henley, vers 1947. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Le dr Préfontaine et son épouse, Hilda Lou Henley, vers 1947. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Le dr Préfontaine et ses fils : Joe debout derrière Charles à gauche et Sammy à droite, vers 1958. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.
Catherine Mulaire
Édouard et sa sœur Laeticia (Mme Noël Bougard) avec leur maman Adélinde née Gratton (Mme Ovide Préfontaine), chez Laeticia, rue Aulneau à Saint-Boniface, vers 1955. Maman Adélinde est décédée en 1958 à l’âge de 97 ans et 9 mois. Photo SHSB, coll. Joe Prefiontaine.

Hommage de la Guilford County Medical Society en 1981

La Guilford County Medical Society salua ses 50 ans de carrière médicale en 1981, honneur que souliga la North Carolina Medical Society. Jusqu’à cet âge avancé, il avait continué à se rendre à son bureau au centre-ville de Greensboro où il était connu de tous. Il en profitait pour voir de vieux patients et, selon les dires de son fils aîné Joe, pour fréquenter le midi les restos sans prétention du coin où il était connu de tous, et commander ses habituels soupe et sandwich

Catherine Mulaire
Honneur rendu au dr Préfontaine, vu à la droite, par la Greensboro Academy of Medicine, pour souligner ses 50 ans de carrière, Greensboro News & Record, le 10 septembre 1981. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Décès à Greensboro le 24 mai 1993

Le dr Édouard Préfontaine décéda à Greensboro à l’âge de 92 ans et 5 mois le 24 mai 1993; ses funérailles eurent lieu à la St. Pius X Catholic Church de Greensboro. Une foule considérable assista aux funérailles, au plus grand plaisir de la famille, touchée par la présence des Chevaliers de Colomb qui assurèrent une haie d’honneur à l’entrée de l’église. Tous étaient venus partager leur souvenir du défunt qui avait si longtemps pratiqué la médecine à Greensboro. Pour les médecins, il représentait une tradition noble d’une époque révolue. L’un d’eux a salué « The Dean » (le doyen, le vieux sage), affectueusement. L’ancien collégien de Saint-Boniface avait répondu aux attentes (voir l’Addendum).

Hilda Henley Prefontaine est décédée le 16 avril 2010. Un service commémoratif eut lieu en son honneur à la Friends Home de Greensboro, la résidence pour aînés où elle avait habité pendant ses dernières années, et qui était affiliée aux Quakers.

Catherine Mulaire
Épinglette remise au dr Préfontaine par la North Carolina Medical Society pour souligner ses 50 ans de services médicaux. Photo SHSB, coll. Joe Prefontaine.

Notes

  • 1. Les Préfontaine de Saint-Pierre-Jolys appartiennent à la grande famille des Préfontaine de la ville de Longueuil, au Québec.
    Selon le généalogiste Armelle Fournier (« Antoine Fournier dit Préfontaine », L’association des Fournier d’Amérique) : « Antoine Fournier dit Préfontaine fut baptisé le 16 février 1663 à Beaumont-sur-Oise dans le diocèse de Beauvais, en Picardie. […] Antoine était soldat de la Compagnie de Troyes et tonnelier de son métier. Il arriva en Nouvelle-France en 1687, comme soldat des Troupes de la Marine, compagnie des Mons, du chevalier Pierre de Troyes. La première bataille, et probablement aussi sa dernière comme soldat au pays, fut de prendre part à l’expédition commandée par les frères Lemoyne, afin de déloger les Anglais de la Baie d’Hudson. // La colonisation de Longueuil commença après cette expédition, puisque la paix était revenue dans la colonie. Le seigneur de Longueuil, Charles Lemoyne, invita plusieurs de ses soldats, qu’il connaissait presque tous, à venir s’installer dans sa seigneurie. Antoine Fournier dit Préfontaine fut l’un de ces nouveaux colons. »
    Des renseignements ont aussi été tirés de Marcel Victor Préfontaine, Descendants of Firmin Prefontaine & Mathilde Desautels (English – abridged version), vers 2014, communiqué par l’auteur à BM avec courriel du 11 septembre 2023.
  • 2. Voir Eidse, 1980, p. 30-32.
  • 3. Joe Préfontaine de Washington, D.C., fils aîné d’Édouard, raconte (courriels à BM des 8 et 10 août 2023) :< br /> “One time when talking briefly about his dad's [Ovide] business Daddy mentioned something about St. Paul. Ddy did say that in the summers he would work for his dad in the surveying crew living in army-style tents and eating food that was preserved in barrels. Ovide hired Metis and Daddy boasted on his ability to communicate with them in their dialect. He had a good ear for languages.
    “In summers he worked on Ovide's irrigation projects and he talked about the skill of the Italian plasterers who worked (with concrete, probably) to smooth the inside of the large pipes that brought water to Winnipeg.”
  • 4. Gabriel Deschambault de la Société d’histoire du Plateau Mont-Royal, à Montréal, précise (courriel à BM du 25 août 2023) : « L’affiche [vue au fond du tramway] réfère peut-être au siège social de la Montreal Tramway sur la rue Craig; qui était immense et qui a probablement dû être revu à la baisse quant à l’occupation des bureaux [vu l’affiche à l’arrière qui annonce des ‘Bureaux à Louer’]. »
  • 5. Voir Mulaire, 1989, p. 135-139
  • 6. De précieuses informations sur la formation d’Édouard ont été tirées de la section consacrée à la famille d’Ovide Préfontaine dans l’ouvrage Saint-Pierre-Jolys, Manitoba, au fil du temps, 2005, p. 492-493.
  • 7. Le Episcopal Eye, Ear and Throat Hospital est devenu le MedStar Washington Hospital Center en 1958, après que fut rendue nécessaire sa fusion avec deux autres petits hôpitaux.
  • 8. Voir 100th Anniversary — St. Leo’s Hospital 1906-2006.
  • 9. Voir Phillips, s.d.
  • 10. Joe Prefontaine raconte (courriel à BM du 30 août 2023) : “Daddy was a season ticket holder for the Greensboro Generals hockey team which played in the HUGE Greensboro Coliseum from its opening in 1959 to 1977. […]
    “He would take us skating at the Coliseum on the weekends. He was a very skilled and confident skater. He didn't do anything flashy but it was obvious that skating came very naturally to him. His skating appeared to be effortless and his sense of balance perfect. He had no interest in any sports except for the Generals who he liked because of the French-Canadian players who were playing a sport he'd loved in his youth.”
  • 11. Selon Joe Prefontaine (courriel à BM du 7 août 2023) : “ The Henley progenitor was from a very prominent English family and traveled with William Penn to Pennsylvania where he settled. Later he took his family to the Quaker settlement in Eastern NC. Descendants then moved to Piedmont NC (around what is now Greensboro) in the communities of Snow Camp and New Garden. The New Garden Friends Meeting (church) still thrives. It was a stop on the ‘underground railway’ that assisted slaves in escaping. At the New Garden cemetery during the revolutionary war they buried English fallen among their own dead.”

Bibliographie

  • SGM. Archives des Sœurs Grises, Montréal : Fonds Maison provinciale Saint-Boniface, Manitoba.
  • EIDSE, Lenore, 1980, réd. en chef, History Book Committee, Furrows in the Valley, A centennial project of the rural municipality of Morris, Inter-Collegiate Press, 50 pages, https://www.rmofmorris.ca/wp-content/uploads/FurrowsInTheValley1-50.pdf, consulté le 29 août 2023.
  • FOURNIER, Armelle, s.d., « Antoine Fournier dit Préfontaine », L’association des Fournier d’Amérique, site Web réalisé par la Fédération des associations de familles du Québec, https://association-fournier.com/antoine-fournier/, consulté le 26 août 2023.
  • MULAIRE, Bernard, 1989, Olindo Gratton (1855-1941), religion et sculpture, Éditions Fides, 191 pages.
  • PHILLIPS, Robert L., s.d., History of the Greensboro Academy of Medecine, 1946-1984, s.é., 240 pages.
    https://gateway.uncg.edu/islandora/object/cone%3A69371#page/1/mode/1up, consulté le 21 septembre 2023.
  • PRÉFONTAINE, Marcel Victor, s.d., Descendants of Firmin Prefontaine & Mathilde Desautels (English – abridged version), vers 2014, courriel adressé à Charles Prefontaine le 15 décembre 2014, communiqué à BM par l’auteur avec courriel du 11 septembre 2023.
  • Saint-Pierre-Jolys, Manitoba, au fil du temps, 2005, Comité du livre de Saint-Pierre-Jolys, 622 pages.
  • 100th Anniversary -- St. Leo’s Hospital 1906-2006, 2006, St. Leo’s Hospital Centennial Homecoming, 20 pages, avec courriel adressé à BM par Joe Prefontaine le 18 septembre 2023.

Addendum

Souvenirs de Joe Prefontaine, Washington, D.C., extraits de courriels adressés à BM entre les 10 août et 20 septembre 2023

“Daddy related to the common man. When almost all doctors moved their offices from the downtown to the suburbs where the two new hospitals were. He remained in his downtown office. Increasingly he served shop keepers, clerks and those who rode the buses (poorer people) which served the downtown. This included the many workers in the textile mills and tobacco manufacturers and other industries.

“His office hours were full days Mon, Tues, Thurs, Friday, Half days Weds and Sat. On Weds. afternoon he took care of the business aspect of his practice. He worked half days on Sat. to accommodate school children or those whose jobs wouldn't allow them to come in during the week. He took out lots of tonsils (in the hospital) and would often perform surgery at the end of the school week -- Friday AM. The patient would recover on Saturday and he would visit and discharge them Sunday AM after 8:30 mass. We kids would go with him to the hospital.

“I spent many a Sunday after mass in the Doctors's lounge at Wesley Long Hospital waiting for him to return from dismissing patients whose tonsils he'd taken out Friday AM.

“My brother Charles and I recently agreed that Ddy was a Greensboro "rock star" in his own quiet way in the heyday of his practice. As a child I couldn't go anywhere in the city that his name wasn't known. His medical practice touched so many when removing tonsils was done routinely; he was the go-to guy in Greensboro for that.

“I hope the idea that Ddy was humble and enjoyed serving all of Greensboro's population comes through. He kept Saturday office hours so that school kids and low paid workers who had little control of their weekday schedules could visit him.”

Remerciements

  • Mes remerciements vont d’abord à Joe Prefontaine de Washington, D.C., un cousin germain de ma mère. Grâce à Joe, j’ai redécouvert son père, mon grand-oncle Édouard. Ce texte est le résultat de nos nombreux échanges.
  • Comme « mon-oncle Édouard » était un ancien du Collège de Saint-Boniface, ce dernier contribuait annuellement à l’oeuvre des bourses. Or, pendant mon secondaire au Collège, c’est sa contribution qui paya mes frais de scolarités. Je l’en remercie. Je lui remercie aussi d’avoir conservé tant d’archives personnelles, sans quoi ce texte n’aurait pas vu le jour.
  • Je reconnais aussi l’apport à ce texte des personnes suivantes : Shyron Brailey, North Carolina Medical Board; Johanne Chagnon et Gaétan Gagnon de Québec; Gabriel Deschambault de la Société d’histoire du Plateau Mont-Royal; Flora M. Gaudry de Langley en Colombie-Britannique; Audrey Gaulin du service des archives historiques de l’Université Laval; Carole Pelchat, archiviste à l’Université de Saint-Boniface; Alcée Penet, archiviste des Sœurs Grises de Montréal; Marcel Victor Préfontaine de Palm Springs (Californie), et Julie Reid, archiviste de la Société historique de Saint-Boniface.

© Bernard Mulaire et SHSB, 2024.

Toute reproduction ou adaptation est interdite sans l'autorisation de l'éditeur. Les citations doivent indiquer la source.

< retour