Expertise d’une œuvre de Joseph-Olindo Gratton et de Philippe Laperle, Saint Henri

image description imprimer

ARTISTE : Olindo Gratton et Philippe Laperle

TITRE : Saint-Henri (Henri de Bamberg ou Henri II)

DATE : vers 1889-1890.

MATIÈRE : Ronde-bosse; cuivre repoussé sur bois; h. : 3 mètres environ.

COLLECTION ANTÉRIEURE : M. et Mme Conrad Dorion, Boucherville (juillet 1986).

ADEENDUM, décembre 2018 : Le Saint-Henri de Gratton et Laperle a été acquis par le Musée national des beaux-arts du Québec, alors appelé Musée du Québec.

En 1891, la Fabrique Saint-Henri-des-Tanneries, de Montréal, versait la somme de $ 431,00 « à M.M. Gratton & Laperle » pour une « statue de St Henri ». L'œuvre avait été commandée pour la nouvelle façade de l 'église paroissiale (Fabrique Saint-Henri, Montréal, Registre, f. 113). Construite en 1869, sur les plans de l'architecte Adolphe Lévesque, l'église Saint-Henri-des-Tanneries fut agrandie en 1887-1888 par les architectes Maurice Perrault et Albert Mesnard.

L'exécution de la statue avait été confiée d’abord au sculpteur Louis-Philippe Hébert (1850-1917). C'est ce que rapporte La Minerve du 19 février 1887. À l'époque, Olindo Gratton (1855-1941) et Philippe Laperle (1860-1934) étaient les principaux employés d'Hébert. Gratton était entré à l'atelier en 1881, (…) vu l'expérience qu'il avait déjà acquise comme ébéniste et sculpteur sur bois. Philippe Laperle fut admis à l'atelier en 1882.

Délaissant la statuaire religieuse sur bois en faveur d'une statuaire profane de bronze, Hébert quitta Montréal en mai 1888 afin de s'établir à Paris. Il ne reviendrait s'installer au pays qu'en octobre 1894.

Au départ du patron, les deux employés fondèrent la maison « Gratton & Laperle, artistes-sculpteurs », assurant ensemble, jusqu'en 1891, une continuité à l'atelier « religieux » d'Hébert.

La statue de saint Henri, ainsi que deux hauts-reliefs pareillement destinés à la nouvelle façade de l'église Saint-Henri-des-Tanneries, illustrent le transfert qui s'est effectué entre les deux ateliers [fig. l]. Alors que Gratton et Laperle se chargèrent totalement de la réalisation du Saint Henri et qu'ils reçurent pleine rémunération pour leur travail, ils avaient accepté antérieurement d'exécuter les hauts-reliefs pour le compte de leur ancien patron. Le Monde Illustré du 6 décembre 1890 (« Nos Gravures », p. 499) apporta cette précision : « L'exécution des hauts-reliefs que l'on remarque sur la devanture de cette dernière église est aussi leur œuvre; le dessin en fut fait par M. Hébert. » Soulignons que la Fabrique versa directement à Hébert la somme due pour les reliefs (MFSH, Registre, f. 111).

Le Saint Henri aurait été fabriqué et posé entre les mois de juillet 1889 et décembre 1890. Le 4 juillet 1889, La Presse (« Trois superbes statues », p. 4) ne fit pas mention de la statue parmi les œuvres alors récemment produites par Gratton et Laperle. Par contre, Le Monde Illustré du 6 décembre 1890 (« Nos Gravures »), reprenant l'article de La Presse, ajouta à leurs réalisations « la statue de Saint Henri, à l'église du même nom ». Or, le 6 août 1889, la statue du titulaire n'occupait pas encore la niche qu'on lui réservait (Le Monde, « Échos de Saint-Henri », p. 4).

Né en 972, empereur d'Allemagne de 1002 à 1024, Henri II de Bamberg, est représenté par Gratton et Laperle selon le type iconographique du « barbu », muni « des insignes impériaux : la couronne, le sceptre et le globe » (Louis Réau, III, 2, 1958, p. 637).

Lors de la démolition de l'église Saint-Henri-des-Tanneries à l'été 1969, les démolisseurs (A.B.C. Démolition Entr. Ltée de Sainte-Julie) conservèrent la statue. L'œuvre fut aussitôt acquise par M. Real Trudeau de Boucherville. Au moment d'être enlevée du clocher, la statue avait subi quelques dommages. M. Trudeau se chargea de la faire réparer. Des spécialistes de travaux du cuivre fixèrent à nouveau la main droite à son bras, et ils façonnèrent une nouvelle lame pour l'épée ainsi qu'une nouvelle croix pour le globe (communication téléphonique de Mme Réal Trudeau, Longueuil, à Bernard Mulaire, 3 décembre 1986). Cela explique que l’épée ne pointe plus tout à fait aux pieds de saint Henri, bien que la réparation ait été faite avec soin et respect pour l'œuvre originale. La statue aurait été cimentée au socle, sans l'utilisation de boulon. Le recouvrement de cuivre paraît en bon état.

Importance de la statue

Le Saint Henri de Joseph-Olindo Gratton et Philippe Laperle mérite d'entrer au Musée du Québec. Elle constitue une œuvre importante pour les raisons suivantes :

  1. Il y a d’abord l'urgence pour le Musée du Québec d'acquérir une œuvre reliée à Olindo Gratton. Le mémoire de maîtrise de Bernard Mulaire consacré au sculpteur (voir bibliographie) a démontré que Gratton, en tant que statuaire religieux, a joué dans la région de Montréal un rôle similaire à celui de Louis Jobin dans la région de Québec.
  2. L'œuvre est rare et précieuse en raison du nombre restreint des œuvres que le corpus « grattonnien » comprend (environ 250) et qui, par conséquent, peuvent être acquises.
  3. Elle est une pièce majeure de la première production autonome (de maturité) d'Olindo Gratton.
  4. Elle représente la production de la maison Gratton et Laperle. Par le fait même, elle tire de l'ombre un deuxième sculpteur québécois, l'obscur Philippe Laperle.
  5. Elle se révèle très imposante, d'une grande qualité esthétique et formelle (elle est très finement travaillée). D'un style académique, elle illustre la production statuaire de la fin XIXe siècle, au Québec.
  6. Plus spécifiquement, l'œuvre illustre la production statuaire religieuse de la région de Montréal, fin XIXe siècle.
  7. Elle illustre une statuaire religieuse produite en continuité avec celle de l'atelier « religieux » de Louis-Philippe Hébert.

Bibliographie

  • Archives de la Fabrique Saint-Henri, Montréal, Registre, f. 111 et 113 : minutes de l'assemblée des marguilliers, 24 avril 1892.
  • Communication téléphonique de Mme Réal Trudeau, Longueuil, à Bernard Mulaire, 3 décembre 1986.
  • « Échos de Saint-Henri », Le Monde, Montréal, 6 août 1889, p. 4.
  • Ministère des Affaires culturelles, Québec, Fonds Gérard-Morisset, dossier 4142-4160, Montréal, Île de Montréal, église de Saint-Henri : réf. à La Minerve, 19 février 1887.
  • Mulaire, Bernard, Étude de la carrière et de l'œuvre du sculpteur québécois Joseph-Olindo Gratton (1855-1941), mémoire de maîtrise en études des arts déposé au département d'histoire de l'art de l'Université du Québec à Montréal, novembre 1986.
  • « Nos Gravures [...]. MM. Hébert, Graton et Laperle », Le Monde Illustré, Montréal, 6 décembre 1890, p. 499.

© Bernard Mulaire et Musée du Québec, 1986.

Toute reproduction ou adaptation est interdite sans l'autorisation de l'éditeur. Les citations doivent indiquer la source.

< retour