Les œuvres du peintre Ozias Leduc au Manitoba et en Saskatchewan : Sacré-Cœur bénissant, anges adorateurs, rideaux de scène et autres mésaventures
Bernard Mulaire, Site Web de la Société historique de Saint-Boniface (SHSB), section «Au pays de Riel», 14 septembre 2018. (Repris dans les Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, vol. 33, nos 1 et 2 (2021), p. 154-176.)
imprimerOzias Leduc est né à Saint-Hilaire de Rouville (Québec) en 1864 et est décédé à Saint-Hyacinthe (Québec) en 1955. Il est reconnu aujourd’hui comme un des grands maîtres de la peinture québécoise et canadienne. Connaisseurs, collectionneurs et musées se jalousent ses portraits, natures mortes et paysages. Intimistes, ses œuvres de chevalet sont empreintes de symbolisme et sont animées par un trait nerveux, inspiré de l’Art nouveau, ainsi que par un coloris sombre et méditatif. Parallèlement, Leduc a pratiqué la peinture décorative de grandes dimensions pour des lieux de culte. On lui doit des ensembles au Québec, dans les Maritimes et au New Hampshire. Parmi ses réalisations les plus ambitieuses et admirées, notons celles qui ornent le sanctuaire de l’église Notre-Dame-de-la-Présentation à Shawinigan-Sud au Québec.
Peu connaissent, toutefois, les commandes que Leduc a reçues du Manitoba et de la Saskatchewan. La correspondance du maître conservée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) en atteste. Cette information est signalée dans Lacroix 1996, sections « Liste des décorations d’églises » et « Chronologie ».
A. L’Hôpital de Saint-Boniface (Manitoba)
Au début du XXᵉ siècle, Saint-Boniface a connu une effervescence sans pareille. En 1908, la ville acquérait le statut de cité ou City autonome de Winnipeg. Entre 1901 et 1917, sa population passa de 2 019 habitants à 7 483. En deux décennies, Saint-Boniface s’était dotée d’immeubles de prestige tels l’hôtel de ville, celui des postes, l’École ou Académie Provencher (où Gabrielle Roy allait enseigner), l’Académie Saint-Joseph, l’École normale, la Maison Chapelle, le Club belge, le poste d’incendie. De plus, on apporta des additions à l’Hôpital de Saint-Boniface et au Collège de Saint-Boniface. Enfin, en 1908, la Ville acquérait une nouvelle cathédrale, pivot de cette croissance. Sur le plan commercial, on remarquait la construction du bloc dit « du Collège » angle Provencher et Aulneau, ainsi que l’installation de la Western Canadian Flower.
Tous ces projets de construction à Saint-Boniface indiquent l’ampleur des opportunités offertes aux artisans, dont certains sont alors venus de la Province de Québec. Du nombre, le peintre-décorateur Vigor Rho (1874-1954). Notons que Rho, répertorié par le Henderson’s Directory de Winnipeg, exerça son métier à Winnipeg dès 1907 en tant qu’« artist » au 616, rue Bannatyne. En 1911, lui et son frère Zotique (1876-1962) étaient établis au même endroit. En 1921, Vigor occupait le 599 Bannatyne. Son papier à lettre proclamait : « Not the lowest but the best »1. (Voir Addendum A)
L’Hôpital de Saint-Boniface fut agrandi en 1905 et en 1914. Les travaux se sont poursuivis pendant plusieurs années de telle sorte qu’en 1921, Vigor Rho, chargé de la décoration de la chapelle Saint-Joseph de l’hôpital, commandait au peintre Ozias Leduc un tableau représentant un « Sacré-Cœur bénissant ». Ce tableau allait être un don de la part de Rho aux Sœurs Grises, propriétaires et directrices de l’hôpital. On présume que Rho voulait ainsi remercier les religieuses pour leur patronage.
Lacroix 1996, section « Liste des décorations d’églises », résume la commande ainsi : « Chapelle de Saint-Joseph de l’hôpital des Sœurs Grises de Saint-Boniface (Manitoba) / Novembre 1921 / Sacré-Cœur bénissant / Pour Vigor Rho, Winnipeg; d’après une image qu’il a envoyée. »
Sacré-Cœur bénissant, 1921
Vigor Rho n’accorda pas beaucoup de temps à Ozias Leduc pour réaliser le tableau du Sacré-Cœur bénissant. En effet, il écrivit à Leduc le 5 novembre 1921. Leduc habitait à Saint-Hilaire au Québec. Dans sa lettre, Rho précisait qu’il avait besoin du tableau avant la fin du mois de novembre -- ou avant. Or, l’œuvre allait mesurer 105 pouces de hauteur sur 51 pouces de largeur (environ 9 x 4 pieds »), ce qui n’était pas exactement une miniature. Rho donnait donc à Leduc quelque trois semaines pour exécuter le tableau et l’expédier à Winnipeg (voir Addendum B). Contre toute attente, Leduc rencontra les échéances.
Rho expliqua à Leduc qu’il repeignait la chapelle de l’Hôpital de Saint-Boniface en blanc avec quatre colonnes « romaines » peintes imitation onyx. Les religieuses lui avaient demandé de « refaire » un tableau du Sacré-Cœur, œuvre d’un « Italien passant » (Photo 2). Ce Sacré-Cœur faisait voir le Christ dans un paysage, les bras étendus vers le bas. Mais, Rho, peintre-décorateur (de murs) préféra remplacer le tableau de l’Italien par une œuvre originale de Leduc.
Joignant deux images du Sacré-Cœur à sa missive du 5 novembre, Rho demanda à Leduc d’utiliser la pose et le cœur de l’une en même temps que la couleur du manteau de l’autre, « le reste à votre choix », cependant que les religieuses « aimerait bien la figure regardant en bas [sic] ». Rho ajoutait : « le fond serait bien nuages legers peut etre un coin de terre duquel il beni ou fond ciel duquel il benit [sic] ». Subséquemment, Leduc accepta de peindre le tableau au prix de 75 $ « tel que specifie et pour le 22 courant ». Leduc était accommodant.
Le 12 novembre, Rho écrivait à Leduc : « faites le joli. et l’air contant de voir a ses pieds un groupe de sœur [sic] ». Rho connaissait ses clientes. À la même occasion, il consulta Leduc sur la couleur du cadre. Il s’agissait d’un cadre en plâtre déjà fixé au mur. Le tableau de Leduc allait occuper ce cadre, et Rho lui demandait comment coller la toile sur le mur. Ce mur était en plâtre « challaqué » (shellacked).
On apprend alors que Rho avait besoin du tableau pour le 27 novembre, date qui marquait le 150e anniversaire du décès de Mère d’Youville, la fondatrice des Sœurs de la Charité ou Sœurs Grises. Rho demandait à Leduc de lui expédier le tableau dans un tube en fer blanc mesurant cinq pieds de longueur, et ce, dès que la peinture du tableau allait être sèche.
Un peu ratoureux, Rho termina sa lettre : « J’espère que celui-ci vous amenera d’autres commandes [sic]…»
Le 28 novembre, Rho écrivit à Leduc. Il était dithyrambique : « Le tableau déjà en place a l’admiration de tous; est bien celui que j’avais rêver… il plait beaucoup. Et est certainement un credit à vos talents artistiques / le peu d’hommes de l’art que j’ai invité le trouve tres bien pas une critique. Je vous en felicite [sic]. »
Cela étant, Rho envoyait au maître le solde dû, soit 25 $. Puis, se faisant vraiment ratoureux, Rho demanda à Leduc un reçu pour le montant de 175 $, montant qu’il avait fourni aux religieuses comme étant la valeur de son don. Rho raisonnait : « ca ne fait mal a personne / si quelqu’un vous demandait indiscretement le prix vous saurez a quoi vous en tenir » / « la difference restera entre nous [sic]. »
Pour leur part, les religieuses se sont réjouies du nouveau tableau. Les Annales de la communauté de Saint-Boniface en date du 27 novembre 1921 témoignent de leur satisfaction : « 1er Dimanche de l’Avant, […] Le tableau du Sacré-Cœur est remplacé par un nouveau. C’est joli. (M. Rho a donné ce tableau. Le Sacré-Cœur a les yeux baissés et est entouré de nuages.) (Photos 3 et 5)2. » Le Sacré-Cœur bénissant de Leduc levait les mains en signe de bénédiction.
Le tableau d’Ozias Leduc surplomba le maître-autel de la chapelle de l’Hôpital de Saint-Boniface au moins jusqu’en 1942, et ce, dans le décor original. En novembre 1942, le maître-autel a subi d’importantes transformations. Le tombeau était recouvert d’un parement d’étoffe (antependium) alors que le retable était remplacé par un dais majestueux à tenture, muni d’ailes latérales. Bien en vue au-dessus de l’autel, fut placé un grand Christ en Croix de style traditionnel. Déjà, le tableau d’Ozias Leduc se voyait coincé au-dessus de cette nouvelle construction (Photos 4, 5, 6)3.
Sans doute pour corriger l’encombrement, le tableau de Leduc et son cadre en plâtre furent enlevés aux alentours de 1954 en faveur d’une nouvelle décoration murale, peut-être du papier peint que l’on orna d’appliques. Ceux-ci arboraient des symboles du Christ (le Chrisme), de la crucifixion (croix celtique) et du baptême (croix baptismale).
Le IIe Concile œcuménique du Vatican, dit Vatican II, tenu de 1962 à 1965, proposa aux fidèles de modifier la décoration intérieure des lieux de culte. S’en est suivi un véritable saccage d’autant plus regrettable qu’à cette époque, de nombreux fidèles abandonnèrent l’Église. Il en est résulté des intérieurs de temples modernisés à outrance, sans âme ni envergure.
La chapelle de l’Hôpital de Saint-Boniface se vit donc dénudée, toute sa décoration intérieure éliminée, murs grattés à blanc, autel remplacé par une simple table faisant face aux fidèles. Seul élément rescapé fut le crucifix traditionnel que l’on fixa au mur du sanctuaire. Il est encore heureux que le Christ n’ait pas été descendu de sa Croix et cloué directement au mur, comme cela fut fait ailleurs.
Enfin, et heureusement, les religieuses optèrent pour la décoration actuelle : une restitution simplifiée des moulures anciennes mettant en valeur un crucifix conçu dans l’esprit de l’art sacré moderne.
Nul ne sait ce qui advint du tableau d’Ozias Leduc.
B. L’Orphelinat Saint-Joseph, Winnipeg
L’Orphelinat Saint-Joseph, fondé en 1900 par Mgr Adélard Langevin, archevêque de Saint-Boniface, a d’abord été logé dans l’ancien presbytère de la paroisse St. Mary de Winnipeg. À cette époque, l’archidiocèse catholique de Saint-Boniface englobait Winnipeg. La nouvelle installation, confiée aux Sœurs Grises, accueillait les garçons, alors que les filles restèrent chez les religieuses à Saint-Boniface.
Pour répondre aux besoins, un terrain fut acquis en 1906 sur l’avenue du Portage à l’extrémité ouest de Winnipeg dans le but d’y construire un édifice approprié. Le nouvel orphelinat fut agrandi en 1909 et de nouveau en 1915. L’archidiocèse de Winnipeg ayant été créé en 1916, le titulaire Mgr Alfred Sinnott demanda que l’institution accueille aussi des fillettes. En 1922, l’Orphelinat Saint-Joseph hébergeait 200 enfants issus de près de 20 nationalités, des petits Canadiens français et Métis, bien sûr, mais aussi des enfants de parents provenant de partout en Europe.
Appelées à fonder un hôpital à Sainte-Rose-du-Lac, au Manitoba, les Sœurs Grises firent face à un dilemme. Elles n’avaient pas les effectifs pour assumer ces nouvelles responsabilités. En 1938, elles se virent donc obligées de céder l’Orphelinat Saint-Joseph aux Sœurs de la Providence de Kingston qui étaient déjà implantées à Winnipeg. L’Orphelinat Saint-Joseph n’existe plus.
Anges adorateurs et autres ornements, 1922
Du 17 mai au 23 novembre 1922, Vigor Rho, à qui les Sœurs Grises avaient confié la décoration de la chapelle de l’Orphelinat Saint-Joseph, récidiva auprès d’Ozias Leduc.
Tout en fournissant à Leduc des croquis du sanctuaire de la chapelle de l’Orphelinat, Rho demanda au maître de peindre sur toile deux anges adorateurs mesurant chacun quatre pieds de hauteur. Ces anges, découpés en silhouette, allaient être collés au mur (c’est-à-dire marouflés) sans encadrement. Ainsi, prendraient-ils place au-dessus des deux portes menant à la sacristie de part et d’autre du maître-autel. De plus, Rho s’engageait à intégrer les anges à des nuages qu’il allait peindre sur le mur. Le motif des nuages pouvait rappeler le Sacré-Cœur bénissant que Leduc avait réalisé l’année précédente pour l’Hôpital de Saint-Boniface.
Rho demanda aussi à Leduc une colombe et deux gerbes de raisins (« ou quelque chose », écrivit-il) avec monogrammes du Sacré-Cœur et de la Vierge Marie. La colombe voltigerait sur le mur loin au-dessus du maître-autel, alors que les deux ornements aux monogrammes seraient placés au-dessus des autels latéraux.4 (Photo 7) La photo du sanctuaire, vraisemblablement prise en 1922, montre les anges adorateurs de Leduc tels qu’intégrés aux nuages peints par Rho. La colombe (Esprit Saint) plane là-haut comme prévu, peinte devant un triangle symbolisant la Trinité. Quant aux ornements, ils ont pris l’allure de plantes en pot. Ils arborent le monogramme IHS (Jésus) et les lettres A M superposées (Ave Maria).
Le 12 juin 1922, Rho exprimait au maître son appréciation : « Comme les anges ils sont magnifiques, comme grandeur, ton, etc. J’en suis donc satisfait et content. » Ce devant, Rho lui envoyait 25 $ et des compliments… en guise de solde dû. (Voir aussi l’Addendum C)
C. Le Collège catholique de Gravelbourg (Collège Mathieu), Gravelbourg (Saskatchewan)
La ville de Gravelbourg fut fondée en 1906, à peine un an après la création de la province de la Saskatchewan. La province devait sa création à la partition des anciens Territoires du Nord-Ouest. Le fondateur de Gravelbourg était l’abbé Louis-Pierre Gravel que Mgr Adélard Langevin, archevêque de Saint-Boniface, avait recruté aux États-Unis dans ce but. L’abbé Gravel, un Canadien français, avait œuvré jusque-là à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de New York et à la paroisse Saint-Joseph de Yonkers (New York).
L’abbé Gravel consacra les vingt prochaines années de sa vie (1906-1926) à Gravelbourg, ville et paroisse. On lui doit le recrutement de milliers de colons venus s’établir dans le sud de la province, issus du Québec et de la Nouvelle-Angleterre.
Gravelbourg se développa rapidement en tant que centre névralgique de la vie religieuse et culturelle des Canadiens français de la Saskatchewan. L’année 1918 vit la construction ou l’inauguration de ses principales institutions : Jardin Notre-Dame, couvent des Sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie, Collège catholique de Gravelbourg (ou Collège Mathieu, ainsi nommé pour honorer son concepteur, Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, archevêque de Regina). En 1919, avait lieu la bénédiction de la grande église de Gravelbourg.
Dès le mois d’août 1920, les Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.) prenaient en charge la direction du Collège.
Rideaux de scène, 1924-1926
Comme en atteste la correspondance d’Ozias Leduc conservée à BAnQ et le mentionne Lacroix 1996, le père Georges Boileau, O.M.I., en poste au Collège, commanda au maître une « toile de théâtre » mesurant 10 pieds de hauteur sur 22 pieds de largeur. Cette toile (ou rideau de scène) devait représenter un « salon royal » et était destinée au théâtre (ou salle académique) du Collège « naissant » (mot du Père Boileau). Par la même occasion, le Père implorait la générosité de Leduc, tout en lui offrant 25 $ pour son travail.
Boileau (par ailleurs parolier de chansons patriotiques) sut se montrer reconnaissant. En effet, le 31 octobre 1924, il remerciait Leduc : « Nous venons de recevoir avec une extrême joie la belle et artistique scène de théâtre que vous avez eu l’obligeance de nous faire à prix de charité ($25.00). […] Nos professeurs du Collège à l’unanimité ont été satisfaits au-delà de leur attente de votre beau travail d’art. C’est entièrement de leur goût : - c’est un suprême [mot illisible] décor de salon. Les teintes en sont riches, délicates, variées et très bien harmonieuses. Nos pauvres collégiens tout comme nous, en sont émerveillés. C’est une bien précieuse collaboration à notre œuvre naissante que vous avez faite là avec tant de goût, de travail et de bienveillance. / Tout le personnel se joint à moi pour vous en féliciter et vous en remercier chaleureusement. […] Nous essaierons de prier un peu pour vous au Saint Autel, non moins que pour votre famille, à titre d’humble reconnaissance. »
Par la suite, Leduc réalisa trois autres rideaux de scène pour le Collège. Ils représentaient une forêt (Photos 8 et 9), une rue et une forteresse. La forêt devait avoir un caractère tragique, propice à des drames et inspirer des sentiments de solitude et de mystère. On suppose que le Collège avait amélioré sa posture financière parce que Boileau offrit au maître la somme de 60 $ pour chacun des rideaux, sans oublier les félicitations : « Les Pères du Collège en sont très contents; ils sont enchantés de votre beau travail; -- et moi aussi. C’est vraiment artistique – »
Qu’à cela ne tienne, Leduc dut patienter avant d’être payé. Pis encore, ses rideaux de scène disparurent sinon avant, du moins pendant, l’incendie qui dévasta le Collège en 1988.
Conclusion
Les mésaventures subies par Ozias Leduc dans l’Ouest canadien illustrent les aléas qui marquaient la vie des artistes décorateurs de l’époque, même parmi les plus cotés. Modèles imposés, échéances serrées, manipulations, appels à la charité, promesses de prières, dévotions et modes changeantes, disparitions, destructions, et ce, malgré l’appui de collègues et d’amis, de l’appréciation des commanditaires et des destinataires. Autre élément de mésaventure : acquérir l’anonymat dans les fonds d’archives (seul Rho est mentionné dans les archives de la Maison Mère des Sœurs Grises de Montréal). De plus, même si les œuvres que Leduc réalisa pour des lieux de culte -- lesquelles lui assuraient une source de revenus alimentaire -- sont encore admirées, reconnaissons que sa réputation repose aujourd’hui surtout sur ses œuvres de chevalet, portraits, natures mortes et paysages. Ces dernières ont été plus aptes à être conservées par des particuliers et des musées. Plus aptes, donc, à survivre aux affres du temps.
Notes
- D’après le Henderson’s Directory de la ville de Winnipeg, les 616 et 599 Bannatyne étaient situés dans le voisinage immédiat de la Sacred Heart Church, l’église de la paroisse francophone de Winnipeg. Ne pas confondre cette paroisse avec les paroisses francophones de l’archidiocèse de Saint-Boniface.
- En la même année 1921, Leduc peignit L’heure mauve, chef d’œuvre conservé au Musée des beaux-arts de Montréal.
- Avait-on accentué au cours des ans les couleurs du Sacré-Cœur bénissant ou la différence des teintes observée entre les diverses photographies était-elle due à l’éclairage? Voir les photos datant de 1921 à 1942 provenant de la SHSB et des Archives de la Maison Mère des Sœurs Grises de Montréal. (Photos 4, 5, 6)
- La correspondance de Leduc conservée à BAnQ mentionne un Sacré-Cœur, mais il s’agit de la dévotion attribuée à un autel latéral, non pas à une commande pour un second tableau représentant le Sacré-Cœur.
Addenda
A. La famille Rho
La commande confiée à Ozias Leduc par Vigor Rho pouvait s’expliquer par le fait que, dans sa jeunesse, Leduc avait travaillé à l’atelier d’Adolphe Rho (1939-1905), peintre décorateur d’églises et sculpteur de son état. Adolphe était le père de Vigor.
Au cours des ans, la famille Rho entretint des liens serrés avec Leduc, tant sur le plan personnel que professionnel. La correspondance de Leduc conservée à BAnQ en témoigne. Les frères de Vigor, soit Auguste (1867-1947), peintre, et Fortunat (1872-1957), entrepreneur-peintre, sollicitèrent souvent les avis de Leduc, lui demandant des devis et lui acheminant des commandes.
La fidélité des frères Rho envers Leduc profita à leur sœur Rosa Rho (1880- ?) qui, en 1921, obtint que le maître corrige un chemin de croix qu’elle avait peint. Leduc accepta de l’aider à cause du bon souvenir qu’il gardait de sa famille (Note a).
Note a) : D’autres artistes décorateurs d’églises, tels Georges Delfosse (1869-1939) et Delphis-Adolphe Beaulieu (1860-1928) de Montréal, cultivèrent des liens professionnels avec Ozias Leduc. Beaulieu alla même jusqu’à commander à Leduc des croquis d’œuvres destinées à l’église Saint-Jean-Baptiste à New York.
B. Les techniques de peinture murale utilisées par Ozias Leduc
Explications fournies par Mme Sophie Roberge, restauratrice à l’atelier des peintures du Centre de conservation du Québec, Ministère de la Culture et des Communications, dans un courriel adressé à Bernard Mulaire le 29 août 2018:
- Aucune analyse chimique n'a été faite pour confirmer la nature du liant des peintures.
- Toutefois, selon les informations que possède le Centre de conservation du Québec du MCC, il semble que la peinture à l'huile était utilisée dans la plupart des cas.
- Le temps de séchage (plutôt une ʺpolymérisationʺ quand nous parlons de l'huile) en profondeur d'une peinture à l'huile est long, mais au toucher une peinture à l'huile est sèche assez rapidement.
- Les variables qui augmentent le temps de séchage peuvent être l'épaisseur de la couche et l'ajout ou non d'huile à la peinture.
- Les variables qui accélèrent le séchage de la peinture à l'huile est l'ajout d'un siccatif, l'application de couches minces et la dilution de la peinture avec un solvant.
- Les artistes utilisent aussi ces variables pour obtenir un aspect de surface plus brillant ou plus mat.
- Le Centre de conservation du Québec ne connaît pas d'ouvrage ou d'article concernant spécifiquement sa technique picturale.
- J'espère que ceci répond bien à votre demande.
C. Sainte-Agathe (Manitoba), 1906
La correspondance de Leduc conservée à BAnQ et Lacroix 1996, section « Chronologie », révèlent que le 3 avril 1906, Sœur Louise-de-Savoie (née Antoinette Tellier), procureure et artiste chez les Sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie (S.N.J.M.) à Montréal, demanda à Ozias Leduc des devis pour six grands tableaux devant orner l’église de Sainte-Agathe au Manitoba. Le commanditaire était Adolphe Bourret, le curé de Sainte-Agathe à qui on doit d’avoir fondé le couvent des S.N.J.M. à Sainte-Agathe, bâti le presbytère et terminé la construction de l’église.
On imagine que l’abbé Bourret demanda conseil aux religieuses du couvent de Sainte-Agathe quand il voulut décorer son église. Et que celles-ci posèrent la question à Sœur Louise-de-Savoie procureure du couvent de Montréal. Incidemment, Sœur Louise-de-Savoie avait été l’élève d’Ozias Leduc au Québec en juillet 1899. Femme d’affaires, la religieuse estima que Leduc ne demandait pas assez cher et haussa la somme indiquée aux devis. Résultat : Leduc n’obtint pas le contrat – ni aucun autre artiste par la suite. L’église de Sainte-Agathe, démolie en 1939, n’a jamais possédé de tableaux.
Sources
- Allaire, J.-B.-A., Dictionnaire biographique du clergé canadien : Les contemporains, Saint-Hyacinthe, Imprimerie « La Tribune », 1908, entrée sur l’abbé Adolphe Bourret.
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Répertoire -- Inventaire du fonds Ozias-Leduc, M55-327, volume I et II (F1 et G1), réalisé par Monique Lanthier, juin 1994.
- Côté, Luc, Laura Gosselin, Rachel Major, Glenn Moulaison, Léonard R. Rivard et al., ainsi que Michel Verrelle, dans André Fauchon et Carol J. Harvey, dir. de la réd., Saint-Boniface 1908-2008, reflets d’une ville, Presses universitaires de Saint-Boniface, 2008.
- Gauthier, Eveline, coordonnatrice, La cathédrale / The Cathedral, Gravelbourg, Saskatchewan, 1976.
- Hébert, Georges, Les débuts de Gravelbourg, son fondateur, ses pionniers, les institutions 1905-1965, Gravelbourg, 1965.
- Henderson’s Winnipeg City Directory, 1907, 1911 et 1921, consultés sur le site Web des University of Alberta Librairies le 28 août 2018.
- La Liberté, Winnipeg, articles sur l’Orphelinat Saint-Joseph, 25 mai 1920 et 6 juin 1922.
- Lacroix, Laurier, dir. de la réd., Ozias Leduc : Une œuvre d’amour et de rêve, Musée du Québec / Musée des beaux-arts de Montréal, 1996, voir les sections « Liste des décorations d’églises » et « Chronologie ».
- Laliberté, Alfred, Les artistes de mon temps, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1986.
- Mulaire, Bernard, entrées sur Vigor et Zotique Rho et sur Antoinette Tellier (Sœur Louise-de-Savoie) dans David Karel, Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord, Musée du Québec / Presses de l’Université Laval, 1992.
- Mulaire, Bernard, « 1965 à 1975 : dix années d’effervescence parmi les artistes de Saint-Boniface », Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, Presses universitaires de Saint-Boniface, vol. 15, no 2 (2003).
- Projet de la Grande Histoire des hôpitaux catholiques au Canada : Saint-Boniface, Manitoba, Maison Provinciale des Sœurs Grises 18443-1944, 1944.
- « Saint-Boniface », Centre du patrimoine, site Web de la SHSB.
Remerciements
L’auteur remercie chaleureusement les personnes suivantes : Mme Julie Reid et M. Gilles Lesage, SHSB; Sister Jean Ell, S.G.M., Winnipeg; Mmes Mylène Laurendeau et Alcée Penet, Archives Maison Mère des Sœurs Grises de Montréal; Mmes Shirley Delaquis et Claudette Savard de Winnipeg; Mme Hélène Vrignon, Hôpital de Saint-Boniface; M. Laurier Lacroix, Université du Québec à Montréal; Mme Sophie Roberge, Centre de conservation du Québec; MM. Claude Dorge et Roger Léveillé, Winnipeg.
© SHSB et Bernard Mulaire, 2018.
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