Cinquante-deux entrées portant sur des artistes francophones
de l’Ouest canadien
Bernard Mulaire, dans David Karel, Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord, Québec, Musée du Québec / Presses de l'Université Laval, 1992 (963 pages)
imprimerLagrave, Marie-Marguerite-Eulalie (Sœur) (p. 451 et 452)
Née le 2 mai 1805 à Saint-Charles-sur-Richelieu (Québec), décédée le 4 août 1859 à la Rivière-Rouge (Saint-Boniface, Manitoba). Statuaire, peintre décoratrice, artisane, chantre, religieuse, enseignante et pharmacienne. Marie-Marguerite-Eulalie Lagrave, fille de menuisier, est la première personne a avoir été statuaire dans l'Ouest canadien, de même qu'une des premières femmes artistes de cette région. Elle reçut sa formation artistique dans les ateliers de la maison-mère des Sœurs Grises de Montréal. où travaillait entre autres sœur Marie-Rose Ladurantaye.
Entrée à l'âge de seize ans au noviciat des Sœurs Grises à Montréal, Marie-Marguerite-Eulalie Lagrave prononça ses vœux le 23 décembre 1823. Les archives de la communauté (à la maison provinciale de Saint- Boniface) disent qu'elle était douée de «dons extérieurs» et qu'à la maison-mère, elle excellait dans tous «les ouvrages de goût», les ornements d'église, les fleurs artificielles et les industries de toutes sortes. Elle fut en outre pendant vingt ans directrice du chœur.
En 1844, les administratrices de la communauté acceptèrent l'invitation de Mgr Joseph-Norbert Provencher, qui désirait créer une fondation à la Rivière- Rouge. L'évêque de Juliopolis, suffragant, auxiliaire et vicaire général de l'évêque de Québec, expliqua dans une lettre à la mère supérieure, datée du 19 octobre 1843, qu'il demandait des sœurs, car il voulait donner à des «personnes du Sexe» une instruction morale et pratique.
Nommée assistante, sœur Lagrave fut parmi les quatre religieuses chargées de la nouvelle fondation. Elles partirent de Lachine (Québec) le 25 mars 1844, à la façon des voyageurs, et arrivèrent à destination cinquante-huit jours plus tard. Il est à noter que le sculpteur Michel Vincent*, de Yamachiche, faisait peut-être partie du convoi.
Dès son arrivée à la Rivière-Rouge, sœur Lagrave se dévoua au service des pauvres et des malades. Elle se rendait deux ou trois fois par semaine à la mission de Saint-Norbert, localité située à trois lieues de Saint-Boniface afin d'y instruire les enfants métis. En 1850, elle fonda le couvent de la mission de la Prairie-du-Cheval-Blanc (Saint-François-Xavier, Manitoba).
À Saint-Boniface, ses talents artistiques ne tardèrent pas à porter fruit. Elle enseigna le plain-chant aux jeunes gens dans le but de former un chœur pour la Noël 1844. L'année suivante, sœur Ladurantaye lui expédia de Montréal un enfant Jésus en cire avec le nécessaire pour le peindre. Durant cet hiver, sœur Lagrave fit son apprentissage de fileuse, expérience qu'elle reprit en 1847 quand elle et la sacristine, sœur Marie-Scholastique Gosselin*, produisirent une étoffe de laine pour tailler le costume des sœurs. C'était là le premier camelot à la Rivière-Rouge.
En 1848, sœur Lagrave peignit la fresque de la nouvelle chapelle du couvent. Sur les murs, elle simula une corniche en marbre jaune et rose soutenue par des colonnes en marbre jaune avec des chapiteaux et piédestaux en marbre vert, travail que la supérieure jugea d'un joli effet. En novembre de la même année, sœur Lagrave, aidée de sœur Gosselin, confectionna pour la chapelle une statue en carton-pâte représentant l'Immaculée Conception, haute de 1,62 m. Ce fut la première statue fabriquée à l'ouest des Grands Lacs, et l'œuvre calquait le modèle de la célèbre médaille miraculeuse fort répandue à l'époque. La Madone suscitait une vive dévotion dans la colonie, les femmes rivalisant de générosité pour lui offrir bijoux et parures. La fabrication de Vierges en carton-pâte allait assurer aux sœurs Lagrave et Gosselin une certaine renommée.
La dévotion à l'Immaculée Conception répondait aux visées mêmes de Mgr Provencher, qui lui avait consacré le pays dès son arrivée.
Ces ouvrages de statuaire se faisaient à la maison-mère, notamment par sœur Ladurantaye. Les religieuses montréalaises, toujours à la recherche de petites industries, apprirent la technique du père Adrien Telmon, l'un des fondateurs de la mission des Oblats de Marie-Immaculée au Canada (1841). Déjà en 1843, le prêtre se réjouissait du fait que les sœurs lui avaient fait une telle statue pour sa maison de Longueuil (Québec).
Au printemps de 1851, Mgr Provencher fit terminer la voûte de sa nouvelle cathédrale. Pour son ornementation, il rappela sœur Lagrave à Saint-Boniface, de son poste de fondatrice à La Prairie-du-Cheval-Blanc. Avec l'aide de compagnes et de quelques frères rattachés à la colonie, elle conçut et exécuta un décor peint qui figurait au-dessus de chaque colonne des urnes chargées de fleurs diverses et des guirlandes de roses de toutes nuances qui couraient d'une colonne à l'autre. La voûte et les murs de la nef étaient peints en bleu clair. Selon un texte rédigé après l'incendie de cette église en décembre 1860, le mur du sanctuaire offrait au regard des parties unies tandis que d'autres imitaient le porphyre vert et rose.
La population, qui n'avait jamais rien vu de semblable, s'extasia devant ce décor que sœur Lagrave qualifiait modestement de «barbouillage». L'engouement fut tel que les femmes du pays, habiles brodeuses, venaient copier les dessins de la cathédrale; et il y aurait une étude à faire sur l'influence de ce décor sur les arts mineurs des Métis de l'Ouest. Le Harper's New Monthly Magazine de New York publia dans son numéro de février 1861 un compte rendu qu'un correspondant lui avait soumis à la suite d'un voyage à la Rivière-Rouge. L'auteur y établissait une relation entre la vivacité du décor de la cathédrale et le costume d'apparat des Métis.
Sœur Lagrave, qui avait hérité de la peinture en trop, compléta au printemps de 1851 le décor de la chapelle du couvent des sœurs à Saint-Boniface. Elle imita le noyer noir et le marbre blanc pour la balustrade du sanctuaire et celle du jubé. L'année suivante, sœur Ladurantaye, qui était à Montréal, fournit aux sœurs de la Rivière-Rouge du matériel supplémentaire pour faire des statues de la Vierge en carton-pâte. Ainsi, sœur Lagrave fut-elle en mesure d'envoyer en 1854 une Vierge à l'Enfant à Saint-François-Xavier et une seconde à la mission de l'Île-à-la-Crosse. Trois ans plus tard, elle avait fabriqué deux autres Madones destinées aux Territoires du Nord-Ouest, pour les missions d'Athabasca et du lac Sainte-Anne. Elle s'alliait de la sorte à ces nombreux religieux, hommes et femmes, qui mirent leurs talents artistiques au service des missions du Nord-Ouest. En outre, elle était pleinement consciente de sa contribution à l'œuvre évangélisatrice.
Dans une lettre adressée à la supérieure de Saint-Boniface, le père Henri Faraud*, missionnaire oblat à Athabasca, reprocha à la Madone qu'il avait reçue ses pommettes colorées, sa figure jeune et ses yeux vifs. Cependant, il semble que les indigènes en raffolaient, et ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls à apprécier ce type d'ouvrage.
Frappée de paralysie, sœur Lagrave, dont l'activité avait bénéficié à une si vaste contrée, seconda tant bien que mal durant ses derniers mois sœur Gosselin dans la confection de fleurs artificielles pour les églises du diocèse.
C'est le Musée de Saint-Boniface qui possède la Madone de 1848. Cette œuvre figura à l'exposition A Boundless Horizon, Visual Records of Exploration and Settlement in the Manitoba Region, 1624-1874 (Winnipeg Art Gallery, 1983).
ASBAFTAC - BERRYH83 - DAFAMULA - OORGER76 - FREM0N35 - JJSBLIPA 1954.08.28 - JJWPFRPR 1944.06.03 - PPHARPER (1861.02) 314 - SGMSBARC - SGMMLSTA
© Musée du Québec / Presses de l'Université Laval, 1992.
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