Un saint ragaillardi
Bernard Mulaire, Continuité, Québec, n° 96 (mars 2003), p. 17à 19.
imprimerAu Québec, de nombreuses églises arborent fièrement en fronton la statue de leur saint protecteur. Ces œuvres, pour bon nombre en bois recouvert de métal, encaissent durement les outrages du temps. Devant le défi que constitue la conservation de ces importants témoins de l’art religieux québécois, la restauration du Saint Jacques le Majeur de l'Université du Québec à Montréal apparaît comme une réussite exemplaire.
Depuis le 5 octobre 2001, la statue de saint Jacques le Majeur (1889) surplombe de nouveau le quartier latin de Montréal. Réalisée par les sculpteurs Olindo Gratton et Philippe Laperle pour le fronton du transept sud de l'ancienne église Saint-Jacques, cette statue, devenue trop instable, a été retirée à l'automne de 1997. Il aura fallu quatre ans pour qu’elle soit restaurée et remise en place.
Les limites d’une technique
La statue mesure 2,60 mètres. Elle est faite de bois recouvert de cuivre, à la manière du repoussé. Cette technique permettait de réaliser des œuvres destinées à l'extérieur à moindre coût que le bronze. Les ouvrages de ce type étaient taillés dans des poutres de bois assemblées. Des feuilles de cuivre ou de plomb étaient ensuite martelées sur la surface du bois pour en suivre les formes. D'abord clouées au bois, les feuilles étaient ensuite soudées le long des joints. L'oxydation donnait ultérieurement au métal la couleur du bronze.
Ainsi protégées par une chape de métal, les statues en bois devaient mieux résister aux intempéries. Toutefois, à cause de la condensation et de l'usure du métal, l'eau a finalement fait pourrir le bois, de telle sorte que toutes ces statues se sont dégradées avec le temps. Lorsque la statue de l’UQAM a été examinée en 1997, elle s’est révélée très endommagée. Le bois avait pourri à la base, entraînant l'affaissement de la statue, et une main risquait de tomber. Par précaution et dans l'attente d'une solution, l'œuvre a été descendue et entreposée.
L'UQAM ne pouvait éliminer la statue, puisqu’il s’agit d’une composante de la façade classée. En faire une copie aurait nécessité l'embauche de trois artisans pendant un an, frais qui se seraient ajoutés aux coûts de sauvegarde de l'œuvre d'origine. Après avoir consulté des spécialistes, Odette Béliveau, architecte au Service des immeubles et de l'équipement à l'UQAM, a finalement opté pour la restauration de la statue et sa réinstallation. Comment en effet une telle institution pouvait-elle se soustraire au défi de protéger son patrimoine artistique et, par la même occasion, le patrimoine du quartier où elle rayonne ?
Du travail d’experts
La restauration a été confiée au Centre de conservation du Québec (CCQ), grâce à des subventions du ministère de l'Éducation du Québec (45 000 $) et, conjointement, de la Ville de Montréal et du ministère de la Culture et des Communications du Québec (30 000 $). Le sculpteur Fabien Pagé, de Donnacona, a effectué les travaux sous la direction de Claude Payer, restaurateur responsable de l'atelier de sculpture au CCQ. Le choix du CCQ était judicieux, car l’organisme a développé une expertise reconnue dans le domaine. Parmi ses réalisations récentes, on note la restauration des deux Anges à la trompette (1892-1894) de Laperle à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours de Montréal, et celle du Saint Michel Archange terrassant le dragon (sculpteur inconnu, vers 1919), de l'église des Saints-Anges-Gardiens de Lachine. En outre, c’est au CCQ qu’a été consolidé le Saint Henri de Gratton et Laperle (1889-1890, collection du Musée du Québec), provenant de l’ancienne église Saint-Henri de Montréal.
À l'atelier de Donnacona, la statue a été séparée du pinacle qui lui servait de socle. Le tuyau d'acier, autrefois fixé à la maçonnerie et embrochant la statue à travers le pinacle jusqu'à la poitrine, a été retiré, puis on a ouvert la statue dans le dos et à la base de façon à pouvoir retirer le bois pourri. Dans la cavité que traversait l'ancien tuyau d'acier, on a introduit une structure en acier inoxydable, conçue avec l'apport de l'architecte Denis St-Louis, mandaté pour la restauration de la façade du transept sud de l’église. Produite par Les industries Portneuf, cette structure est pourvue d'un système d'ancrage à la base et d'un anneau sortant à l’arrière de la tête de la statue pour en faciliter le déplacement.
Le bois pourri a été remplacé par du bois neuf traité. Puis on a refermé la chape en métal et retiré les clous de fer que l’on a remplacés par des rivets de cuivre fixant les tôles ensemble plutôt qu'au bois. Après le nettoyage des joints, les soudures ont été refaites avant de nettoyer le cuivre au jet de microbilles de verre et de le polir. Enfin, un produit à l'acrylique contenant un inhibiteur de corrosion a été appliqué sur l’ensemble. Simple travail de ferblantier, le pinacle a été évidé puis muni d'une structure interne d'inox. Les pourtours du pinacle ont aussi été rafraîchis grâce au remplacement d'une palmette perdue au cours des ans. Signe du succès de l'opération : près de 95 % des composantes ont été conservées.
Un art menacé
Toutes les statues du genre n'ont pas la bonne fortune du Saint Jacques le Majeur de l'UQAM. Leur sauvegarde pose un grave problème, d'autant plus que la plupart des statues des frontons d’édifices religieux installées entre les années 1880 et 1920 au Québec ont été fabriquées de cette manière. Nombre d'entre elles ont succombé à leurs blessures. Par exemple, les deux groupes de Gratton, L'Étoile de Bethléem et Le Jugement dernier (1907-1909), ont été enlevés de la façade de l'église Saint-Enfant-Jésus de Montréal en 1978. Ces groupes, uniques dans l'histoire de l'art du Québec, et sans lesquels la façade de cette église n'a plus de sens, attendent d'être restaurés. Plus favorisées par le sort, les 13 statues (1892-1900) de Gratton qui ornent le fronton de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde tiennent bon. D'autres ont subi des réparations ponctuelles bien intentionnées. Tôt ou tard, cependant, ces œuvres nécessiteront des soins professionnels.
Il existe bien un Programme d'aide à la restauration du patrimoine religieux, mais les sommes sont limitées. Tout ne pourra être restauré. Qu'adviendra-t-il de la statuaire en métal repoussé sur bois ? Témoin de l'habileté des artistes d'autrefois, d'un passé qui reste l'un des fondements de la culture québécoise, cette statuaire peut-elle espérer qu'un groupe de recherche universitaire se porte à sa défense ?
(Encadré 1)
Gratton et Laperle
Olindo Gratton (1855-1941) et Philippe Laperle (1860-1934) étaient des artistes du voisinage. De 1881 et 1882, respectivement, jusqu'en 1888, ils avaient été les employés du sculpteur Louis-Philippe Hébert. Quand celui-ci s'est installé à Paris en 1888, ils se sont associés tout en continuant d'occuper l'atelier d’Hébert, rue Labelle, au sud de la rue Sainte-Catherine. Admiré par la presse montréalaise lors de sa réalisation, le Saint Jacques le Majeur a contribué à établir leur réputation en tant que sculpteurs autonomes.
(Encadré 2)
Saint Jacques le Majeur
La statue de l’UQAM représente l'apôtre Jacques, dit le Majeur, parce qu'il fut l'un des premiers disciples du Christ. Dans la main droite, il tient les Saintes Écritures, qui témoignent de son rôle apostolique. De la main gauche, il s'appuie sur un bourdon, auquel est fixée une gourde. Ces accessoires, associés à l'iconographie du pèlerin, font écho aux coquilles qui ornent la partie supérieure de son vêtement. Elles rappellent le costume des moines de Cluny qui organisèrent, au temps de la Croisade contre les Maures, le pèlerinage à Compostelle.
© Continuité (Conseil des monuments et sites du Québec), 2003
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